Christophe
Monniot : saxophone, effets
Roberto Negro : piano
Jérôme Arrighi : basse
Adrien Chennebault : batterie
Roberto Negro : piano
Jérôme Arrighi : basse
Adrien Chennebault : batterie
Il a dû y avoir une faille dans l’espace-temps.
Il s’est passé un truc qui m’échappe et mes repères s’en
trouvent chamboulés. Ce nouveau disque de Roberto Negro paru il y a peu sur le label maison du Tricollectif est un au revoir et une
présentation. C’est en quelque sorte une photographie de ce qui se passait
avant et une mise en bouche pour ce qui nous attend. Cet album est double. Le
premier disque, Luna de Wuxi, a été
enregistré en 2012 par le trio « habituel » du pianiste, celui qui
avait enregistré Downtown Sorry, premier album à juste titre distingué dans les
colonnes de Citizen Jazz. Le second est une captation live de la nouvelle
mouture du groupe, devenu quartet avec l’arrivée de Christophe Monniot. Depuis,
le quartet s’est trouvé un nom, Kimono. Nous voici donc avec entre les mains un
très bel objet, épais, orné de chaque côté d’un visuel magnifique, et contenant
une musique qui ne l’est pas moins. C’est aussi, au-delà du plaisir d’écoute
qu’il procure, un moyen de passer de l’autre côté du rideau, et de s’immiscer,
puisqu’on nous y invite, dans l’intimité du groupe, observatoire idéal de son processus
de création, de sa démarche d’évolution.
Et évolution il y a, nécessairement, car on ne participe pas
une discussion de la même manière si elle implique trois ou quatre personnes.
En trio, Le pianiste a plus d’espace, prend à son compte la narration et
l’architecture, propose à ses comparses des épisodes fiévreux ou atmosphériques
dont le dénominateur commun est le lyrisme dont la musique ne se départit
jamais. En quartet, Christophe Monniot apporte sa voix. Cela libère d’une
certaine manière le pianiste des contingences de chant et lui offre la
possibilité d’aérer son jeu, de l’aménager pour qu’il demeure une source
importante de suggestions. Negro multiplie alors les propositions, bouscule le
groupe, l’oblige à plonger dans une interaction fiévreuse. Lorsqu’il joue, le
pianiste adopte des postures qui n’appartiennent qu’à lui. Il semble parfois
s’amuser à jouer du « grand piano », et délivre des phrases
magnifiques avec une moue amusée. Parfois, il s’arc-boute sur son clavier,
telle une créature arachnoïde et harangue ses partenaires de jeu avec le langage
du corps. Tendu, nerveux, les yeux rivés sur ceux du musicien qu’il provoque,
il semble prêt à sauter par-dessus son piano, ou se servir de lui pour libérer
une énergie qui déborde. C’est précisément comme ça que je l’imagine avec
Kimono, prêt à en découdre, et fermement décidé à provoquer l’inattendu.
Mais revenons au trio, formation magnifique en elle-même,
qui use avec intelligence d’un spectre expressif étendu et montre, dans la
continuité du premier disque, une cohérence remarquable dans l’équilibre des
sons et des fonctions structurelles. Outre le jeu du pianiste, qui représente
une proposition fort intéressante de synthèse entre Jazz et piano classique
(dérapages et élégance, maîtrise et acceptation de l’imparfait, lyrisme et
incandescence), on y entend une section rythmique originale et créative, dont
l’influence pèse sur l’improvisation. Les lignes amples et la sonorité unique de
Jérôme Arrighi (proche de la contrebasse dans ses rondeurs, mais pourvue d’inflexions
précises dans le registre aigu) tout comme la pulsation raffinée et souvent
mélodique d’Adrien Chennebault portent le jeu du pianiste mais l’oriente aussi,
de par l’intensité amenée ou les choix harmoniques audacieux. La musique peut
s’étendre tout en restant suggestive, comme sur « Il giorno della
civetta », tout en retenue et non-dits. Mais elle peut aussi délivrer
beaucoup d’informations en peu de temps. Ainsi les portraits de « Miss
J » et « Billy The Begue » prennent-ils la forme de miniatures
instables, truffées d’accidents. Le lyrisme du trio s’épanouit sur des morceaux
où la mélodie se meut en phases d’improvisation vibrantes, comme sur la belle reprise de Jeff
Buckley « Grace », le morceau final « I Wish I Could Be A
Melody » où le trio décline avec douceur les nuances d’un romantisme amusé,
et surtout « Come un libro d’ Erri De Luca », petite pépite
d’emportement poétique dont le pianiste livrera une version plus aérienne avec
la clique de Birdy So. Sur « Déjà vu », le développement organique
est précédé par une introduction où le son est travaillé par le biais d’effets,
une démarche qui tendra à s’accentuer avec l’arrivée de Christophe Monniot.
Cela s’entend dès l’introduction du live A
l’opéra, où il suffit de quelques secondes au saxophoniste pour marquer le
son du groupe de son empreinte.
Le disque du quartet est plus tendu, volcanique. Le
répertoire comporte des compositions du pianiste ou du saxophoniste. A ce stade
on se tourne autour, on s’invite les uns les autres pour définir les contours
d’un univers commun. On retrouve avec plaisir des titres de Monniot qui nous ont
déjà fait chavirer, dont « Ph », issu du plaidoyer durant lequel le
saxophoniste nous exhortait, non sans fantaisie, à aiguiser notre
éco-responsabilité (Vivaldi Universel,
Saison 5). Il y a aussi, clôturant ce concert en un blues torride, une
version très axée sur le jouage d’un thème que Monniot avait par le passé mis
entre les dix mains du Baby Boom de Daniel Humair (« Blanc cassé »).
Le saxophone est tout au long de ce concert épique une sorte de révélateur de
la force de frappe du trio originel. Le jeu collectif va loin, se tend, gonfle
sous les assauts répétés du saxophoniste et du pianiste. La rythmique pousse et
se laisse pousser, et tout ce petit monde nous convie à une célébration. Celle
d’un groupe en pleine prise d’élan, pour lequel on imagine de rayonnants
lendemains. Ce qu’il nous donne à entendre ici représente quoi qu’il en soit une double bonne raison de sauter dans le
train en marche. Attention, la machine est lancée !
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