Benoît
Delbecq : Piano
Fred Hersch
: Piano
Jean-Jacques
Avenel : Contrebasse
Mark Helias
: Contrebasse
Steve Argüelles
: Batterie et effets
Gerry
Hemingway : Batterie
Voici un disque dont je me permets de parler avant de
l’avoir (malgré de multiples écoutes) essoré jusqu’à sa dernière goutte.
Pourquoi ? Et bien parcequ’il me semble que tout ce que je pourrais en
dire en le maîtrisant mieux serait trop étroitement lié aux images qu’il
m’inspire, et le principal intérêt de ce type de création est justement
d’offrir à l’imaginaire de chacun de belles rampes de lancement, histoire
d’emmener nos pensées dans ces ailleurs dont seules les grandes œuvres
connaissent le chemin.
Le double trio imaginé par Benoît Delbecq fonctionne comme
un véritable sextet. Et si on peut se demander comment peuvent
cohabiter deux pianos, deux contrebasses et deux batteries autrement qu’au sein
d’un chaos musical, Fun House apporte dix réponses qui enterrent profondément
les doutes que l’on peut avoir (enfin, ceux que j’ai eu) à l’égard d’une telle
formation. Les compositions, que l’on doit pour la majorité d’entre elles à
Benoît Delbecq, se révèlent par petites touches, comme suggérées par l’addition
des interventions pointillistes de chacun, qui sont comme les traits du croquis
d’un plasticien génial qui n’aurais pas besoin de tracer sa ligne définitive
tant ses crayonnés dégagent une force poétique suffisante. A cela près qu’ici,
les musiciens partent d’une ligne claire et la floutent sans l’effacer. C’est
pourquoi la musique paraît parfois insaisissable, mais est toujours émouvante,
prenant la forme d’un entrelacs raffiné de notes qui jaillissent et se
répandent comme autant de gouttes et de flammèches. Si, à défaut de partir dans
tous les sens, elle exploite différentes directions, c’est aussi parcequ’à la
classique interaction entre le piano, la contrebasse et la batterie s’ajoute un
sens de lecture parallèle. Chacun doit composer avec le groupe mais aussi avec
son « double instrumental », ce qui donne lieu à de superbes effets
de surimpression, de dédoublement et de décalage auxquels les effets de Steve
Argüelles apportent par moment une part de mystère supplémentaire.
Le procédé musical est d’autant plus impressionnant qu’il ne
sature pas l’espace, et la musique respire perpétuellement, quelle que soit l’énergie
déployée et le degré d’abstraction. Les morceaux sont souvent brumeux mais leur
dimension mélodique confère à leur écoute une inattendue facilité, notre
attention étant constamment maintenue par de somptueux gestes musicaux et des
couleurs d’interprétation qui se déclinent en une palette de nuances qui paraît
infinie, tout particulièrement au regard des contrastes générés par les jeux
des pianistes, si différents dans leurs rapports à la mélodie, à la matière et
à l’espace.

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