Rémi Gaudillat : trompette, bugle
Fred Roudet : trompette, bugle, tuba
Loïc Bachevillier : trombone
Laurent Vichard : clarinette basse
Le voyage…
Laissez-moi en rêver un, qui comprendra une étape.
Près de chez moi, la Seine. Je la remonte, traverse l’Aube et la
Marne, gravis en évitant les éboulis de roches un dénivelé qui me mène au
plateau de Langres. La dépression de l’Auxois me sépare dès lors du Morvan.
Au-delà, les plaines du Charolais me permettront assez vite, sauf si les vents
contraires viennent contrarier mes projets, de franchir les monts du Beaujolais
puis de rejoindre les rives du Rhône. Mon embarcation de fortune me portera
jusqu’à Lyon, où j’ai prévu de m’arrêter, car il y a là-bas des personnes qui me
permettront de partir bien plus loin. Des Improfreesateurs, comme ils disent.
Loin de l’effervescence Parisienne, ils contribuent à faire
vivre, en collaboration avec le label IMR, l’un des plus passionnants
collectifs de musiciens dont nos belles provinces sont pourtant loin d’être
dépourvues. J’ai pris la bonne habitude de me laisser guider par ces
tour-opérateurs qui organisent des excursions poétiques permettant de découvrir
les reliefs du jazz en empruntant des chemins peu balisés. Ils me confient Le
chant des possibles, et mon périple se poursuit, mais je troque ici mes
chaussures de marche et mon souffle court contre une paire d’enceintes et leurs
souffles à eux. Je ne perds pas au change, et pourtant, que la ballade fût
belle…
Me voici donc traversé, inondé par ces quatre voix qui se
mêlent, ou plutôt s’imbriquent, pour créer des paysages sonores dont la
variété, en termes de reliefs, de matières et de couleurs, garanti
l’émerveillement perpétuel, pareil à celui que l’on ressent en arpentant les
sentiers de randonnées où se succèdent les points de vue inespérés. A vrai
dire, je ne savais pas trop où je mettais les oreilles. La surprise n’en fût
que plus délectable.
Rémi Gaudillat, trompettiste que l’on voit sauter avec
bonheur de beau projet en beau projet (je fais entre autre allusion à ses
participations récurrentes aux disques et concerts de son complice Bruno
Tocanne, ou à l’Overdrive Trio, récemment co-signataire avec Marcel Kanche
d’une très belle mise en musique de textes de Léo Ferré), a réuni autours de
lui trois musiciens, comme lui souffleurs, pour donner vie à une musique qui
partage avec les chemins de mon escapade une indéniable élégance dans sa
manière de faire se succéder avec harmonie l’abondance et l’ascèse, les formes
sculptées et suggérées. Le vent soufflé par Rémi Gaudillat, Fred Roudet, Loïc
Bachevillier et Laurent Vichard s’éparpille en courants d’air guidés par les
reliefs de l’écriture. Les lignes de trombone et de clarinette basse donnent
faussement l’impression de servir de socle aux thèmes et chorus des trompettes.
Mais c’est pour mieux prendre à leur tour s’élever en tourbillons mélodiques,
redescendant à hauteur des autres émules d’Eole pour le plaisir d’en modifier
les trajectoires.
Au sein de ce quartet, il n’y a que des solistes, mais aucun
ne se met en avant. Alors on profite d’autant plus du lyrisme poétique qu’ils
répandent en lui faisant profiter des mouvements d’ensemble faits de phrases
cycliques et d’harmonies soyeuses. Les lignes se croisent, s’imbriquent et se
complètent, tantôt statiques, tantôt vagabondes, mettant en exergue un
remarquable travail de composition tout comme un feeling précieux. Cela
s’entend dès le premier morceau, ces « Jeux d’ombres » qui sont avant
tout des jeux de lumières, ou un jeu avec la lumière, projetée selon des angles
changeants par les quatre musiciens. Belle entrée en matière avant de prendre
de la hauteur avec les « Envolées ». Au milieu de subtiles
orchestrations mêlant solos, dialogues et tutti, Laurent Vichard prend un solo
absolu. Ses notes tournoient puis suivent des trajectoires imprévisibles,
portées par des courants ascendants, avant de redescendre partager quelques
unissons avec la
trompette. En arrière plan, un passionnant travail des
cuivres, qui dessinent un décor aux couleurs de crépuscule mordoré. A ces
aériennes circonvolutions succède une marche pour le coup ancrée dans le sol,
qui monte en puissance à mesure que « L’armée des poètes » y
superpose une mélodie épique, un trombone aux allures martiales et des trompettes
qui appuient les temps faibles comme pour entretenir la nécessaire énergie de
ces hommes de mots et de notes décidés à partager leurs mirages. Obstination
récompensée bien entendu, même s’ils prêchent un convaincu. « Rien en
face », annonce le titre suivant. Pas sûr. En face de moi, à travers moi,
un magnifique songe porté par la finesse harmonique de cette composition
flottante. J’en émerge doucement à l’écoute de l’introduction bruitiste de
« Mechanical Wind », ou une accumulation de courts motifs rythmiques
obtenus par l’utilisation de bruits annexes (growl, percussions à même les
instruments, notes détimbrées…) précède la mise en place d’une surprenante
jungle de riffs imbriqués sur laquelle Loïc Bachevillier dépose un solo
flegmatique. Cela me rafraîchit et me pousse à me laisser partir encore plus
loin avec « Le voyage », composition a tiroirs décrivant en musique
les étapes de préparation, le mouvement du voyage, puis l’étrange mélange de
satisfaction et d’épuisement qui caractérise l’arrivée, ce nouveau point de
départ.
Cela me rappelle que mon périple touche à sa fin. Il ne me
reste plus qu’à m’asseoir sur le python rocheux qui surplombe la vallée de mes
émois musicaux et à contempler la
Lune. Elle est triste car chez elle, point de vent. Peut-être
entend-elle, de loin, chanter les nôtres. Pour ma part je les entends chanter
de près, ils sont là, au creux de mon oreille. Je ne boude pas mon plaisir.

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