Louis-Michel Marion : contrebasse
Avec Grounds, son Poème sur la corde grave, Louis-Michel
Marion nous propose une longue plongée dans les basses. Ce poème, c’est une
seule plage musicale de 27 minutes durant laquelle le contrebassiste joue, à
l’archet, sur une seule corde de sa contrebasse. Le musicien prend le temps de
laisser émerger des harmoniques et autres micro-évènements impalpables, qui
finissent par prendre le pas sur les notes à proprement parlé. Ce sont ces
bruits, voulus ou acceptés, qui
finissent par créer le discours musical, qui s’articule autour d’un
vrombissement continu. S’imposer une telle contrainte oblige le musicien à
aller chercher l’inouï, comme le firent avec les mots les écrivains de l’Ouvroir
de Littérature Potentielle.
La musique du contrebassiste demeure irrésolue. Peut-être
est-elle simplement ineffable. Elle donne peu de réponses mais pose beaucoup de
questions, dont une me paraît centrale : Est-il vain de vouloir imposer un
chemin au son ? L’acte de création musicale, né d’une pensée, d’un geste,
ou de la combinaison des deux, n’a plus vraiment de sens ici. La musique est
libre non parce que le musicien se permet toutes les audaces, mais bien parce
qu’il lui permet de muter à sa guise. Le contrebassiste file les clefs de sa
baraque à une inconnue. Il y a évidemment une grande maîtrise du son, plus
parfois pour le contenir que pour le projeter. C’est par cette notion de
contrôle (de la vibration, des harmoniques) que naissent les phrases mélodiques
sur « First steps » (5 strophes), dissimulées au cœur d’un voile
grave entretenu par de rapides aller-retour d’archet.
Le travail de Marion autour du son, du chant de sa
contrebasse, est profondément organique. Il est comme une continuité des chants
gutturaux mongols, un prolongement des sensations du fœtus in utero. La vibration, les bourdons, les stridences sont autant d’éléments
qu’il dispose, organise ou superpose avec inventivité, en dépit d’une
nécessaire monochromie.
La phrase et le bruitisme font ça et là quelques apparitions.
Mais l’essentiel du propos tourne autour de la sculpture de la masse, approche
qui n’est pas sans rappeler, entre autres, celle de Benjamin Duboc (PrimareCantus) ou de Daunik Lazro (Some Other Zongs). A la fois minimaliste et
complexe, brutal et raffiné, ce chant s’arrache à la terre et viens provoquer
chez l’auditeur un frémissement perceptible. Le site de Louis-Michel Marion
permet d’écouter quelques extraits, pour se faire une idée. Mais il est
chaleureusement recommandé d’accorder à ces disques le temps dont ils ont
besoin pour nous envahir pleinement. Ça vaut le détour.


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