Sébastien Texier : saxophone alto, clarinette,
clarinette alto
François Corneloup : saxophone baryton
Henri Texier : contrebasse
Louis Moutin : batterie
Nous y étions !
C’était le 21 décembre 2011, Noël avant l’heure en somme.
La péniche l’Improviste n’avait ouvert ses portes que depuis
quelques mois, et une carte blanche avait été donnée à Sébastien Texier, qui
avait sur cinq dates invité des musiciens pour jouer des répertoires écrits
pour l’occasion (c’est là qu’il joua pour la première fois avec le quintet qui
vient de sortir le fantastique Toxic
Parasites dont nous reparlerons très vite) ou déjà existants. Pour le
quatrième concert de cette résidence, le saxophoniste a convié François
Corneloup, Henri Texier et Louis Moutin à le retrouver sur des compositions majoritairement
empruntées à l’œuvre du contrebassiste, ce qui explique que ce disque sorte
sous son nom. Il parle même à propos de ce quartet d’un cadeau de son fils,
puisqu’il a vu en ce groupe la formation avec laquelle il souhaitait poursuivre
son aventure. Mais revenons à notre cale. On s’y bousculait et il y régnait le
parfum des grands soirs, allez savoir pourquoi. Les musiciens étaient
interviewés sur le pont intermédiaire, au niveau du restaurant. Il y avait
parmi les spectateurs quelques têtes connues, journalistes ou musiciens. Peut
être que cette atmosphère d’happening non prémédité était prémonitoire… Il se
trouve que les deux sets, qui devaient initialement, en éphémères friandises,
n’être goûtés que par les spectateurs, furent enregistrés, pour archive, par
Denis Gambiez, qui officie derrière la console de la péniche et est donc
coupable pour le bon son équilibré dont elle est envahie. A l’écoute des
bandes, Henri Texier tombe d’accord avec le public présent ce soir là : c’était
un de ces concerts qu’il ne faut pas laisser partir. D’où la décision de
publier le second Live de sa belle carrière, 27 ans après Paris-Batignolles.
Il eut, c’est vrai, été dommage de ne pas partager avec le
plus grand nombre ces versions charnues de certains des titres emblématiques du
contrebassiste, tels « Desaparecido », dont le quartet délivre une
interprétation pleine d’engagement, ou « Sacrifice », titre tendu et
poignant qui figure régulièrement au programme de ses concerts. Parce que trois
des musiciens faisaient partie du Strada Sextet, trois titres de l’album Alerte à l’eau ont également été
choisis : « O Elvin », sur lequel Louis Moutin, qui mêlait ses
frappes pour la toute première fois aux cordes de Texier, joue vraiment à la
manière d’Elvin Jones, en poussant la musique et en l’alimentant d’une énergie
continue, « Blues d’eau », dont les couleurs nostalgiques
n’appartiennent qu’à leur auteur, et « SOS Mir », qui conclut le
disque sur les notes déchirées de Sébastien Texier et François Corneloup. Trois
compositions de Sébastien Texier viennent compléter l’ensemble, « La fin
du voyage » (issu de son disque Don’t
Forget You’re An Animal), « Song For Paul Motian » (celui là
figure sur le nouveau !), et « Roots ».
Des titres, en somme, bien connus de ceux qui suivent ces
musiciens, mais joués dans une esthétique plus sale, plus esquintée que dans
leurs versions studio. Ce côté brut est
accentué par le dépouillement qui résulte de l’absence d’instrument harmonique,
ce qui n’est pas une nouveauté (on se souvient des délices de cette « absence »
sur Remparts d’argile, sur Respect, au sein du trio qu’il partage
avec Aldo Romano et Louis Sclavis où dans la musique du spectacle L’œil de l’éléphant) mais pas une
constante non plus, Henri Texier ayant durant de nombreuses années paré ses
mélodies des couleurs chatoyantes du piano de Bojan Z puis de la guitare de
Manu Codjia. Sébastien Texier, à l’inverse, vient seulement d’intégrer le piano
dans son univers personnel en invitant Bruno Angelini à décliner ses notes en
nuances au sein de son nouveau quintet. Lors de ce concert il y avait donc des
compositions de l’un joués avec la formule de l’autre, ou le contraire, mais
finalement on s’en fiche. Ce qui est important, pour l’heure, c’est ce Hope
quartet, qui délivre une énergie propre aux concerts donnés en club, avec un
son très sauvage, y compris sur les blues et les ballades. L’expressivité des
musiciens n’est pas bridée par des contraintes de temps et de longs solos
jalonnent les morceaux, tirant invariablement le son d’ensemble vers un
bouillonnement, une tension qui dressent finalement un pont entre la
dramaturgie des compositions et les élans libertaires des musiciens qui les
interprètent.
Et comme, ce soir là comme beaucoup d’autres, les musiciens
étaient « dedans », cela donne quelques 72 minutes de musique
vivante, traversée par des solos de saxophones et de clarinette sublimes, par
les longues notes élastiques de la contrebasse, qui ne boude pas son plaisir de
trouver en Louis Moutin un interlocuteur de marque. Alors, pendant que tout ce
petit monde s’affère, et bien nous on se délecte, parce qu’il y a là beaucoup de sensibilité, des instants
fragiles et poétiques, mais aussi de la colère, des dérapages contrôlés et une
sacré envie d’en découdre, parce que continuer la lutte c’est continuer à
vivre, et parce qu’à travers cet engagement entrent en résonnance les combats
nécessaires, les devoirs de mémoire et les bonnes nouvelles à venir. Hope.
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