Gabriel Lemaire : Saxophone alto, clarinette alto
Valentin Ceccaldi : Violoncelle, horizoncelle
Florian Satche : Batterie
Composé de trois membres bien obligés d’assumer leur part de
responsabilité dans l’effervescence que l’on peut observer autours du
Tricollectif, Marcel et Solange est un trio dont les qualités justifient leur
place dans la douzième promotion de la tournée Jazz Migration portée par
l’AFIJMA et la FSJ. Ce premier album éponyme nous plonge sans détour dans leur
univers aussi singulier qu’enthousiasmant.
Et ça parle de quoi ce disque, alors ? Et bien ça parle
d’Ernestine, de Jean-Pierre, de Joe, et aussi bien sûr de Solange, Marcel et de
leur cochon Paquerette. Des personnages, donc, dont il nous appartient
d’imaginer les histoires, les épisodes de vie, dans leur ferme située non loin
de Bruges. On nous donne des noms, des lieux, et une belle feuille blanche pour
écrire leurs aventures. Celles que la musique m’a inspirée sont somme toute
relativement simples, car ce que j’entends me touche à la manière d’un regard
qui ne fuit pas, d’une franche poignée demain, d’un repas simple partagé pour
le plaisir du moment. Tout n’est pas rose à la ferme, donc la musique se charge
de dissonances, mais c’est aussi parce qu’ils savent faire face à ces petits
tracas du quotidien, à la vigueur de l’hiver et la dépense physique qu’engendre
le travail du champ de patates que nos personnages savent trouver le chemin le
plus court entre leurs intentions et nos émotions, leurs gestes et nos
sourires. Ca parle vrai, chez Marcel et Solange, on ne fait pas de chichi. Et ce
jazz vivant est, contre toute attente, un vecteur idéal pour retranscrire cette
rurale vitalité.
Gabriel Lemaire, saxophoniste et clarinettiste qui nous
avait déjà régalé au sein du quartet Walabix, n’est pas de ceux qui cherchent à
saturer la musique. Souvent à la pointe du triangle dans son rôle de narrateur,
il s’appuie sur sa sonorité chargée de souffle, pour jouer de longues notes
embrumées et parfois détimbrées qu’il alterne avec des phrases
tranchantes qui se départissent rarement, y compris lorsqu’il va taquiner les
aigues, d’une certaine langueur. Sa voix originale s’appréhende sur la
longueur, car son jeu est un cheminement, un récit que l’on absorbe à la
manière d’un texte lu par un acteur talentueux, dramaturge soucieux de la
justesse, jusque dans la violence de son propos (« Pâquerette »).
Valentin Ceccaldi, amène, en plus des compositions dont il
est majoritairement l’auteur, des couleurs et des matières qu’il tire de son
violoncelle, en alternant le pizzicato et l’archet comme autant de
réminiscences de deux cultures dont il semble inondé, le jazz et la musique
savante. Naissent sous ses doigts des lignes de basses solides et aventureuses,
mais aussi de longs frottements impressionnistes à travers lesquels il va
fondre ses notes dans celles du saxophone (« Bruges ») pour en
souligner la délicatesse. Sur « Champ de patates », il tire de son
instrument, en le posant sur ses genoux et en le jouant à la manière d’une
harpe un motif moelleux et obsédant. Le temps d’un titre fougueux
(« Solange », qui n’a pas l’air commode), puis d’un autre plus aérien
(« Ernestine », qui semble plus calme bien qu’un peu tourmentée) il
convoque la déesse électricité et utilise l’Horizoncelle, instrument hybride
dont il tire des sons qui élargissent sa palette pourtant déjà étendue. Il
assure en outre la cohésion du trio en dialoguant de façon incessante avec
Gabriel Lemaire mais également avec Florian Satche, batteur/ bruiteur inspiré
sachant tirer d’un set de batterie peu envahissant une multitude de couleurs.
Florian Satche, c’est le genre de batteur super nerveux qui semble lutter en
permanence pour accorder ses gestes à son flux d’idées. Il change souvent de
baguettes, en utilise de plus ou moins fines en fonction du son qu’il
recherche, il saisit des objets dont il tire des bruits qui vont grosso modo du
flocon qui se pose à l’avalanche qui dégringole, il explore les moindres
recoins de sa batterie à la recherche de la frappe qui viendra sublimer
l’instant. Mais il n’en découle que de la diversité, et pas d’éparpillement.
Car c’est en étant totalement dans la musique qu’il laisse libre court à sa
fantaisie. Côté frappes, donc, ça cogne dur, mais ça caresse aussi. Ca teinte,
ça bruisse, ça évoque. Ca groove, d’une certaine manière. Tout d’ailleurs, ici, se fait d’une certaine
manière. Sans manières, par contre. A la bonne franquette, avec une auge bien
remplie d’émotions et de plaisir pour tout le monde. Merci bien.
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