Dennis González :
Trompette, cornet
Aakash Mittal : Saxophone alto
Aaron González :
Contrebasse
Stefan González :
Batterie
Le trio que forme le trompettiste texan Dennis Gonzalez avec
ses fils Aaron et Stefan, a pris la bonne habitude d’inviter, du moins sur ses
disques sortis sur le label Ayler Records auquel il est fidèle, des musiciens
qui constituent à chaque fois une épice surprenante permettant de varier les
saveurs d’une recette familiale qui a fait ses preuves et constitue un point de
départ solide pour une multitude de déclinaisons. Après avoir invité le
complice Rodrigo Amado, que les frères côtoient par ailleurs au sein du quartet
de Luis Lopes, le saxophoniste Tim Greene et le batteur Louis Moholo-Moholo,
ou, plus récemment, le tromboniste Gaika James et le batteur Alvin Fielder,
c’est au tour de Aakash Mittal de s’insinuer dans la musique ouverte et
mouvante de Yells At Eels.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que chez les González, on sait recevoir. Surtout
lorsque l’enregistrement d’un disque est une occasion de retrouver un proche
(Aakash Mittal et Stefan González
sont des amis d’enfance) et de partager avec lui un peu plus qu’un moment
solennel. Beaucoup d’espaces sont de fait offerts au saxophoniste, dont leu jeu
caractérisé par un double ancrage (s’y mélangent l’angularité ou les
foudroiements du jazz d’avant-garde américain et l’approche modale et les
intonations de la musique Indienne) est particulièrement mis en valeur dans
« Shades Of India », avec son introduction mystique et son
développement basé sur une incandescence Coltranienne. Le saxophoniste amène de
la brillance et des couleurs qui diffèrent de celles qu’affectionne le
trompettiste.
Et c’est bien de couleurs dont il me paraît judicieux de
parler au moment d’évoquer Dennis González. La courge verte de la pochette et le nom du disque me
donnent raison. Mais c’est surtout la façon qu’a le trompettiste de traiter sa
propre musique qui est de l’ordre de la pigmentation. Prenons les thèmes. S’ils
sont beaux, ce n’est pas pour leur dimension mélodique, la plupart du temps
minimaliste, mais parce que la manière d’harmoniser leurs quelques notes leur
donne une profondeur particulière, comme une gamme de couleur déclinable à
l’infini. Cela m’évoque, sur cet aspect, la démarche de Wayne Shorter. De
couleurs il est également question lorsqu’il s’agit de parler de l’expression
soliste du trompettiste. Son discours est toujours concis, ramassé, fait de
phrases agglutinées qui en disent long en peu de temps. On a parfois
l’impression d’un magma composé d’une multitude de fragments mélodiques peu
projetés, exprimés sans préoccupation formelle, mais avec un sens de la mise en
place atypique et passionnant : ces solos sont souvent
« derrière », servent de petites transitions entre les solos des
autres musiciens et le retour au thème, ils sont menés en parallèle,
interviennent au début ou la fin d’un solo de saxophone, en contrepoint, bref,
partout où on ne les attend pas. C’est déroutant, dans le bon sens du terme, et
cela donne aux compositions des teintes inattendues. L’agencement tient un rôle
important dans la musique de Dennis González. Citons, à titre d’exemple, la magnifique construction du
morceau le plus calme et poétique du disque, « Constellations On The
Ground ». Il démarre par quelques notes flottantes harmonisées dont
l’enchaînement s’accélère jusqu’à devenir une phrase. Les instruments se
dissocient tout en conservant leur complémentarité de notes et de timbres, et
maintiennent l’approche harmonique durant un passionnant trilogue. Ils se
retrouvent sur la phrase initiale, dont les notes s’espacent à nouveau,
jusqu’au silence.
Tout cela est porté par la rythmique en constante ébullition
fournie par Aaron et Stefan, rythmique souple et inventive dans le registre de
l’intensité (« Dokonori Shiito », « Wind Streaks In Syrtis
Major ») comme dans les épisodes plus atmosphériques (notamment sur le
très beau « Shadows »). La diversité d’ambiances amenée par les
compositions leur permet de développer beaucoup de jeu, et le disque dans son
ensemble (si l’on fait exception de l’aérien et dénué de batterie
« Constellations On The Ground ») témoigne de la complicité des deux
frères et de la créativité qui en résulte. Cela vaut pour le quartet au
complet, qui propose au fil des six morceaux de ce beau disque une musique
beaucoup moins ascétique que ce que sa première écoute peu laisser croire. Elle
est, en fait, simplement personnelle.
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