Sylvaine Hélary : flûtes
Airelle Besson : trompette
Céline Bonacina : saxophones
Didier Levallet : contrebasse
François Laizeau : batterie
Avec ce nouveau quintet, Didier Levallet donne une
continuité cohérente à plusieurs de ses réalisations, renforce quelques
complicités musicales et ouvre son univers à de nouvelles voix. En effet, ce
n’est pas la première fois qu’il dirige une formation où la section rythmique
est complétée par trois instruments à vent puisqu’en 1981, il enregistrait le
magnifique Ostinato avec un quintet dont la frontline était composée de trois
saxophonistes, Jean Querkier, André Jaume et Jef Sicard. Par rapport à cet
enregistrement, la posture de la contrebasse n’a pas changé. Elle reste tout à
la fois discrète et centrale, solidement arrimée sur ses lignes obsédantes mises en valeur par une
sonorité puissante et, d’une certaine manière rustique, entendez boisée. Le
contrebassiste a également gardé le goût des thèmes harmonisés dont les
solistes peuvent s’échapper sans en altérer la profondeur. Mais
si depuis 1981 sa musique reste d’une fraîcheur intacte, la pensée musicale a
fait son chemin, et les nombreuses expériences menées avec des formations
étendues (notamment l’ONJ, ou l’on retrouvait déjà François Laizeau) et des
formations privilégiant les cordes ont laissé des traces dans le raffinement de
l’écriture, si bien que les harmonies et alliances de timbres entre la flûte,
la trompette et le saxophone prennent ici une dimension particulière. Toujours
pour parler de suite logique, il me semble important d’évoquer son précédent
disque, Songes, silences…, sorti l’an dernier sur le label sans bruit. François
Laizeau et Airelle Besson étaient déjà de la partie, et les retrouver dans ces
voix croisées amène forcément à envisager un lien entre les deux disques. C’est
le cas, évidemment, dans la mesure où l’on perçoit de nouveau l’incidence du
jeu de Airelle Besson sur le son d’ensemble, avec son lyrisme délicat aux
reflets mordorés. On peut enfin supposer que « Siegfred », titre
laconique au thème éclaté en notes éparses, est un hommage au pianiste qui fit
un bout de route avec le contrebassiste, Siegfred Kessler.
Pour donner forme à ses envies d’enchevêtrements mélodiques
et de textures originales, Didier Levallet à choisi l’option de faire se
rencontrer trois voix aux identités bien marquées, chacune des musiciennes
ayant développé un univers qui leur est propre. On imagine les difficultés qui
peuvent naître d’une telle initiative. Non pas que l’on puisse douter des
facultés ou efforts d’adaptation des unes ou des autres, mais il se trouve que
les parcours respectifs de la trompettiste, de Sylvaine Hélary ou de Céline Bonacina ne sont pas
vraiment similaires, et qu’elles ont peu l’habitude, même si l'on pourra à coup sûr me prouver le contraire par mille exemples, de côtoyer les mêmes « familles » de musiciens. Il fallait
donc, pour que leur présence soit justifiée par autre chose que leurs talents
d’instrumentistes, générer par l’écriture des tableaux au sein desquels chacune
pourrait user de sa propre palette de couleurs, s’exprimer librement sans
étouffer les autres ni mettre en péril l’équilibre et la cohésion du
répertoire. Mieux encore, faire de ces tableaux un endroit propice au mélange de leurs palettes. C’est totalement réussi, et les compositions, magnifiques, sont
autant d’occasions de mettre en lumière les unes et/ou les autres. Ainsi
Airelle Besson trouve-t-elle matière à développer de somptueuses phrases
cuivrées sur « Antigone’s Choice » ou sur « Le dur désir de
durer », un superbe thème qui semble s’auto-alimenter, se faire renaître
plus fort et plus beau encore. La trompette aérienne et personnelle de Besson y
est portée par la rythmique bien sûr, mais aussi par de jolis fragments
mélodiques harmonisés par la flûtiste et la saxophoniste. Céline
Bonacina dispose également de pièces de choix. Et si elle
déploie sur « Candide » un jeu tout en dynamiques et en cascades de
notes, elle trouve à de nombreuses reprises l’occasion de jouer, comme elle
l’affectionne, de manière très dense. Didier Levallet ne s’y est pas trompé, et
lui confie, entre autres passages délectables, le soin de propulser deux
morceaux relativement courts mais diablement entraînants (« La
jetée », et « Adelie », sur lequel elle entrelace son jeu a
celui de la trompettiste). Sylvaine Hélary, dont l’éventail de flûtes est à
l’image de la richesse de ses idées, apporte à la musique une grande fraîcheur
et une sensibilité liée tout autant à sa sonorité douce et venteuse qu’au
mélange de force et de fragilité qui émane de ses phrases sans cesse
redessinées. Des titres comme « Alicia’s Walk » ou « Traversée
d’un temps immobile » sont fortement marqués par sa belle personnalité.
L’album tout entier est un festival, une célébration. Les
voix, effectivement, se croisent. Mais elles se soutiennent aussi, se tournent
autours. Elles papillonnent, investissent avec grâce les larges espaces laissés
par une section rythmique qui reste majoritairement concentrée sur son travail
de soutient et sa fonction pulsatile. Cela n’empêche pas les deux messieurs
d’interagir, bien au contraire. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter la
manière qu’a François Laizeau de dialoguer avec Airelle Besson durant le solo
de la trompettiste sur « Alicia’s Walk », ou de se laisser absorber
par l’histoire que la contrebasse nous conte sur « Sound Friction »,
ralliant peu à peu à sa narration les instruments à vents qui architecturent
avec bon goût et retenue un éparpillement mélodique plein d’élégance.
Sur le papier atypique de par son instrumentation et les
noms qu’il réunit, ce quintet s’impose finalement comme une évidence. Bien sûr
qu’il fallait réunir ces trois voix. Bien entendu, la justesse de leurs
échanges et leur complémentarité va de soi. Evidemment, Les lignes solides de
la contrebasse et le drumming chantant de Laizeau positionnent les solistes
dans un environnement propice à l’épanouissement de leurs jeux. Naturellement, ce
disque est de ceux qui s’accommodent aussi bien des silences nocturnes que des
mouvements dispersés du jour. Indéniablement, il s’agit d’un grand beau disque.
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