Emile Parisien : saxophone soprano
John Taylor : piano
Stéphane Kerecki : contrebasse
Fabrice Moreau : batterie
+ Jeanne Added : voix sur 2 morceaux
John Taylor : piano
Stéphane Kerecki : contrebasse
Fabrice Moreau : batterie
+ Jeanne Added : voix sur 2 morceaux
"Au fond, la seule chose intéressante, c’est le chemin que
prennent les êtres. Le tragique, c’est qu’une fois qu’on sait où ils vont, qui
ils sont, tout reste encore mystérieux. Et la vie, c’est ce mystère jamais
résolu." (Jean-Luc Godard)
C’est un peu la même chose avec la musique. Stéphane
Kerecki, on le connaît car on aime le suivre. Le chemin qu’il prend ici
participe d’une certaine logique, qui allie rupture et continuité, dans le sens
ou le contrebassiste construit son édifice personnel en alternant les recours
aux matériaux rendus inébranlables par le travail du temps et aux formules
neuves ouvrant les portes de l’audace et de la remise en jeu. Il s’est attelé à
travailler en profondeur avec son trio (Matthieu Donarier et Thomas
Grimmonprez), lui a offert de nouvelles perspectives en l’enrichissant dans un
premier temps du saxophone de Tony Malaby, puis du piano de Bojan Z. C’est
aujourd’hui Emile Parisien qui tient aux côtés de Donarier le saxophone dans ce
groupe. Mais avant d’enregistrer le fantastique Sound Architects avec cette
formation, Kerecki a pris un virage à 180° en imaginant une rencontre,
intimiste, avec les cordes élégantes de John Taylor et Nelson Veras. En passant
de la force de frappe de deux saxophones et une batterie à la délicatesse des
cordes frappées ou pincées, il faisait le pari audacieux de tout remettre en
cause. Le disque Patience enregistré en duo avec Taylor est témoin de la
sagesse de cette décision. En marge de ces projets personnels, Kerecki poursuit
ses aventures en prenant part à une multitude de projets qui ont en commun
d’avoir sacrément de la gueule. Et ces aventures l’ont souvent amené à jouer
avec Fabrice Moreau.
Ce nouveau quartet est peut-être le fruit de ces envies
(non-contradictoires) d’accorder à sa démarche créative « le temps de se
faire » tout en la nourrissant des enseignements qu’apportent
inévitablement les situations de jeu qu’on prend soin de renouveler. Le
contrebassiste s’est entouré de proches, avec qui l’harmonie des gestes
musicaux s’est affinée au long de ces chemins croisés. Les musiciens ne font
pas que graviter autour de Kerecki. La musique circule en tous sens, avec
fluidité. Les évènements et idées sont nombreux mais le quartet reste léger,
comme si toute saturation, y compris quand le groupe plonge profondément dans
l’improvisation, était naturellement bannie.
Pour la première fois, à l’exception d’une reprise d’Olivier
Maessian sur Houria ou de l'interprétation du "Jade Visions" de Scott LaFaro sur Patience, le contrebassiste a décidé d’explorer la musique des
autres, en l’occurrence en consacrant cet album à l’interprétation de musiques
issues de films de la Nouvelle Vague. Ce qui l’amène à assembler des œuvres,
classiques ou contemporaines de l’époque, et d’en redéfinir la disposition non
pas pour respecter leur chronologie dans le montage du film, mais pour qu’elles
deviennent les chapitres de ses propres histoires. C’est pourquoi l’ouverture
composée par Georges Delerue pour le film Le mépris de Jean-Luc Godard clôt la
belle suite imaginée par Kerecki, après un solo de contrebasse lourd de sens
qui la sépare du thème de "Camille". C’est pourquoi Beethoven s’invite chez
Michel Legrand dans la suite consacrée au film Lola de Jacques Demy.
La majorité du disque est toutefois occupée par des thèmes
esseulés, dont les mélodies sont respectées, le quartet emmenant chez lui ces
originaux par l’intermédiaire d’un jeu collectif perpétuellement soumis à
l’interaction. Nulle rigidité donc dans la réappropriation de ces mélodies,
aussi connotées soient-elles. Au contraire, mises à nue puis rhabillées de
parures actuelles, elles revivent, conservent leur charme initial et se
révèlent de nouveau à nous. Et c’est là l’une des réussites du groupe, qui rend
justice aux compositeurs, invoque des images, des ambiances, des scènes
enfouies en nous, en attente d’une bonne raison de ressurgir, et surtout qui
délivre une musique d’une grande fraîcheur, où les idées de chacun s’organisent
avec logique. Il faut dire que ses membres sont tous des esthètes, qui
privilégient la finesse et le raffinement à la force brute. Ce qui n’empêche pas
les musiciens de se livrer, sans retenue. Il suffit pour s’en convaincre
d’écouter John Taylor saisir le thème des Quatre cent coups et de le plonger
dans les profondeurs de ses déstructurations harmoniques, de se chauffer à l’écoute du solo embrasé d’Emile
Parisien sur « Ferdinand », d’arpenter les dévers des lignes de
contrebasse, qui se courbent, attentives à épouser les méandres pulsatiles de
Fabrice Moreau, partenaire idéal et paysagiste raffiné.
A deux reprises, Jeanne Added prête sa voix pour l’interprétation
de « La chanson de Maxence » puis de « Jamais je ne t’ai dit que
je t’aimerais toujours ». A ces deux occasions, le quartet se met un peu
en retrait, et par un merveilleux système de vases communicants, toute
l’émotion de la musique se retrouve concentrée dans sa voix magnifique, qui ne masque pas les brisures. L’émotion n’est pas une matière lisse. Ce disque, qui l’accepte,
est une petite merveille.
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