Alexandra Grimal : saxophone soprano et tenor
Giovanni Di Domenico : piano
Alexandra Grimal et Giovanni Di Domenico donnent une suite
au magnifique Ghibli paru en 2011 sur le label Sans bruit. Le premier disque
présentait le duo dans un format assez serré, un peu plus d’une demi-heure de
poésie suspendue.
Le label Ayler Records prend le relais et propose un double
album enregistré au théâtre du Châtelet, collection de solos et duos intimistes
et énigmatiques dont le pianiste est le principal compositeur. L’occasion de
compléter la série des « Koans », ces courtes séquences qui, dans
l’enseignement Bouddhique, prennent la forme d’apories, c’est à dire de
contradictions insolubles nécessitant de délaisser les modes de résolution
intellectuels pour privilégier d’autres formes de connaissances intuitives,
intérieures. Prenons les comme des invitations au lâcher prise, à l’intégration
par le ressenti de cette musique plus qu’à son analyse. Honnêtement on ne s’en
porte pas plus mal, car elle est aussi belle que sophistiquée, bien que drapée
d’une fausse simplicité. La part-belle est laissée au silence, à l’espace
préservé, propice au vagabondage de l’imaginaire. Là réside la force de ces
pièces. Elles ne sont cérébrales que pour ceux qui les jouent, et je préfère
m’y égarer que chercher à en restituer une image détaillée.
Saxophone et piano sculptent le silence, s’y immiscent
discrètement où fragilisent sa quiétude. Ca et là l’intensité s’accroît, comme
sur « Bi Fluoré » ou « Harmattan », mais la musique est
majoritairement caractérisée par un lyrisme voilé, une poésie de l’étrange.
L’ivresse vient des possibilités qu’autorise la perception de l’espace. Ecouter
Alexandra Grimal jouer sa charmeuse de serpent durant près d’un quart d’heure
sur « Diotime et les lions » est un voyage en soi. Se perdre dans les
méandres de son propos sur la pièce d’ouverture, « Prāṇa », est un
délicieux abandon. Ses notes semblent se
disperser, n’écoutant que leur soif d’évasion. Il y a là un des aspects qui
permet aux deux musiciens de se trouver et s’épouser dans cette grande masse
silencieuse où ils se déplacent sur la pointe des pieds : c’est cette
façon d’égrainer les notes, de les libérer plus que les jouer. « Let Sounds
Be Themselves », clame un titre interprété en solo par le pianiste. Oui,
les sons ont l’air d’en faire à leur guise, dans une chorégraphie stellaire. C’est en ne sacrifiant rien de leurs exigences
respectives que tous deux parviennent à donner de la cohérence à leurs
échanges. Leur conversation est marquée par un refus de toute facilité, car en
musique le jeu facile est vite encombrant. Tout est interprété avec d’infinies
précautions. Et puis il y a ce risque prit de ne pas emprunter les directions attendues,
de laisser les phrases se répandre comme si un vent léger s’accaparait leur
trajectoire... Je perçois à travers
cette musique aride les impressions diffuses que procure la contemplation d’un
paysage désolé et magnifique, ce sentiment un peu contradictoire d’être tout à
la fois fragile et invincible.
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