Olivier Benoît :
guitare, composition et direction artistique
Jean Dousteyssier
: clarinettes
Hugues Mayot : saxophone alto
Alexandra Grimal : saxophones tenor
et soprano
Fabrice Martinez : trompette et
bugle
Fidel Fourneyron : trombone et tuba
Théo Ceccaldi : violon et alto
Paul Brousseau : claviers
Sophie Agnel : piano
Bruno Chevillon : basse, contrebasse
et conseil artistique
Eric Echampard : batterie
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Chapitre 2
Où il sera question de recentrage, d’inversion de forces, d’environnement
lacustre et de série télé des années 80.
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Qui s’est penché sur le fabuleux Paris qui ouvrait le périple européen de l’Orchestre National de Jazz
ainsi que le mandat de son directeur artistique doit avoir en mémoire le son du
groupe, sa puissance, et sa capacité à se décomposer en petites cellules
imbriquées. De ce point de vue, Berlin
n’est plus une surprise. Il constitue une suite logique au premier chapitre,
mais avec une différence notable : la musique est plus centrée. Ce n’est
pas mieux ni moins bien, c’est un autre parti-pris. Là où Paris était le théâtre de parties très contrastées, Berlin inspire à Olivier Benoit une
musique plus linéaire, dans le son comme dans l’énergie. Exit, notamment, les
épisodes heavy metal, les langueurs minimalistes. Il y a ici une constance qui
sied à la réputation de nos amis d’outre-Rhin.
Pourtant, ce n’est pas le comportement des gens qui inspire
le guitariste, mais l’architecture des villes. Quoique. De Berlin, il retient
la largeur des voies, plus adaptées aux déambulations du Berlinois
d’aujourd’hui que les ruelles tarabiscotées de Paris ne le sont à celles des gens
pressés qui les arpentent. D’où peut-être une volonté d’amener sans traîner les
compositions au cœur de leur propos, de rendre le procédé narratif plus concis,
et d’octroyer plus de temps à l’éclosion des énergies par la répétition de
motifs. C’est de cette circulation facilitée que profite le trombone de Fidel
Fourneyron sur « L’effacement des traces ». Il y évolue sans entrave,
glissant ses notes coulissées au cœur du trafic instrumental tout en captant
ses flux.
L’ONJ paraît assagi (sagesse qu'il convient de relativiser car c'est quand même la folie...). Peut-être est-ce Berlin qui l’y
oblige. Je n’ai pas le plaisir de connaître cette ville, et la vois comme une
capitale arty que l’histoire a précipité vers l’avant. J’imagine ses résidents
actifs et ouverts, ses rues dépareillées, sa jeunesse curieuse. Je ne fais qu’imaginer
mais la musique de Berlin colle bien
à l’image que je me fais de la ville. Elle pétille, elle est affirmée, solide.
Quelques indices disséminés çà et là m’incitent tout de même au rapprochement
entre la musique et les gens. Dans « Metonymie », n’est-il pas à deux
reprises question de sortir l’individu de la masse ? Berlin serait donc
une formule facile pour désigner ceux qui l’habitent ? Toujours est-il que
d’une dynamique collective s’échappent tour à tour Alexandra Grimal et Jean
Dousteyssier, avec à chaque fois une vitalité un peu folle qu’exacerbe la
rythmique de l’impressionnant tandem Chevillon / Echampard. Comme si d’une vue
d’ensemble de la ville on zoomait sur des personnes, les solos féroces de l’une
et de l’autre étant le reflet d’une activité qui déborde. C’est aussi le cas
pour la prise parole de Sophie Agnel sur « Oblitération », qui
constitue une inversion des forces en place dans le morceau (rectitude et
puissance orchestrale, instabilité et souplesse de la petite formation), ou
pour celle de Paul Brousseau sur « Détournement », libre et engagée.
Si l’on m’autorise à poursuivre mon raisonnement fantaisiste,
l’extraordinaire solo de Hugues Mayot qui s’étend sur la quasi-totalité des 6
minutes de « Réécriture » peut symboliser l’influence positive du
lieu sur la personne. Le résident peut-il être porté par sa ville comme le
saxophoniste l’est par l’orchestre ? Peut-être. L’énergie de la cité
pousse l’homme, l’homme participe à rendre sa cité énergique. Le morceau, pour le
coup, est dynamité par le saxophone alto.
Dans ce disque il y a beaucoup de joie, de l’allant. Une
urgence urbaine aussi, tempérée par des textures soyeuses et de brefs
apaisements. Ceux-ci sont pareils aux temps suspendus de la ville. Comme le
silence d’une station de métro avant l’arrivée de la rame et son cortège de
stridences. Comme le plan d’eau, au milieu du relief des bâtiments. Berlin est
à taille humaine, visiblement. La sensibilité du violon de Théo Ceccaldi sur la
deuxième partie de l’introduction de « Révolution » renvoie à cette promiscuité,
par la suite diluée dans une grandeur que survole fièrement la trompette de
Fabrice Martinez.
Tel Hannibal dans l’Agence tous risques, Olivier Benoît se
tient plus en retrait. Non pas dans le jeu collectif, qu’il nourrit avec
toujours autant de verve et d’inventivité, mais en tant que soliste. Il s’accorde
tout au plus quelques instants de poésie acide cachés en fin de programme.
Comme un pas en arrière. C’est qu’il s’apprête à poser sa guitare et à sortir
de scène, pour mieux superviser ce qui s’y passe. Mais avant ça, profitons de
ce fantastique répertoire. Il faut du temps pour en faire le tour. Après
seulement, nous irons à Rome.
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