22 juin 2017

Jean-Noël von der Weid - Papiers sonores



Paru aux éditions Adam Musicae




Lorsqu’on cherche à parler musique, on se retrouve immanquablement face au mur infranchissable d’un champ lexical terriblement réduit. Alors, écrivains, journalistes ou chroniqueurs font ce qu’ils peuvent, en acceptant de tourner en rond parfois, ou en trouvant leur salut dans la prise de distance, la description du ressenti émotionnel ou des images que la musique génère offrant une palette de mots plus étendue.

A la manière d’un musicien de Free Jazz s’affranchissant des codes pour explorer de nouveaux territoires, Jean-Noël von der Weid, de sa plume libre, s’autorise ici à évoquer les sons sans trop en parler, en laissant son propos vagabonder pour décrire la musique de manière détournée, par une histoire, une image.

Quand on y pense, rares sont les écrits portant sur la musique qui ne soient soumis à des impératifs formels, puisqu’elle est très majoritairement abordée sous l’angle ou du souvenir, ou du descriptif d’une actualité. On parle d’un disque parcequ’il paraît, d’un concert parcequ’il vient d’avoir lieu. On cite des références parce que ça fait bien ou on se remémore des épisodes dantesques qui nous donnent l’illusion d’avoir à un moment caressé l’histoire de cet art. Alors les écrits sont documentés, descriptifs, dictés par des règles dont il est à vrai dire compliqué de s’extirper.

C’est là l’un des attraits de Papiers sonores. Pas d’actualité ici mais une passion. Pas de nécessité d’être juste mais une simple envie de laisser fuiter les mots, qui visiblement débordent alors que la musique s’infuse. Ces papiers, ces feuilles qu’on tourne, parfois très vite -comme si elles étaient ornées de dessins qui s’animent- afin de laisser le hasard choisir  la prochaine incursion dans l’intimité de l’auteur, sont à chaque fois de petits trésors, toujours articulés en deux parties, une courte biographie d’un compositeur, ou plus précisément un texte de présentation, et un écrit né du voyage intérieur qu’a engendré l’écoute d’une pièce de ce compositeur. Et l’auteur brasse large, emporté par la pluralité de ses amours musicales. De la musique classique, beaucoup, du Jazz, de la musique contemporaine ou improvisée. La suggestion de pièces à écouter est fort pertinente et le mélomane se plaira à errer, dans sa propre discothèque, dans les médiathèques ou sur le net pour (re)découvrir les pépites proposées. Le texte libre a souvent, de par le rythme des mots et de la ponctuation, une dimension musicale qui le fait s’accorder avec la musique traitée. Jean-Noël von der Weid hachure sa prose en reflet de l’écriture éclatée de Franco Donatoni, ou propose une envolée lyrique lorsqu’il pose ses mots sur le 17eme Madrigal de Gesualdo. Il transforme Charles Mingus en personnage de fiction- mais une fiction réelle. Il plonge en profondeur dans l’interaction entre l’accordéon de Pascal Contet et la contrebasse de Joëlle Léandre. Il écrit des poèmes, se livre à des exercices de style magnifiques. Il joue de sa plume comme un musicien de son instrument, en variant les techniques, les couleurs, l’intensité. La musique est parfois explicitement abordée, mais souvent ce sont ses transpositions en images, scènes de vies, dialogues, échanges épistolaires ou pensées vagabondes qui sont couchées sur ces Papiers sonores.

Une presque cinquantaine de compositeur se succèdent, et autant de textes gorgés de fantaisie et formules rêveuses. Papiers sonores est un recueil qui se découvre et se savoure avec le temps. Le lire d’une traite reviendrait à écouter sans pause toutes les musiques sublimes qui y cohabitent. Chacune d’elle mérite son moment, et ses silences. Les mots de Jean-Noël von der Weid, pareils aux notes d’une œuvre complexe mais immédiatement enchanteresse, se doivent de résonner.

Dans une ode poétique à la musique et sa puissance impalpable que révèle l’Andante tranquillo de « Musique pour cordes, percussion et célesta » de Bela Bartók, l’auteur écrit ceci :

« On ne s’en méfie jamais assez, de la musique, ses sons ne sont que sons, ne sont que présences d’effacement, ils expriment la musique, seulement la musique… »


C’est assez vrai. Mais rarement elle n’aura été si bien servie par le verbe qu’au long de ces délicieuses pages.

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