Paru aux éditions Adam Musicae
Lorsqu’on cherche à parler musique, on se retrouve
immanquablement face au mur infranchissable d’un champ lexical terriblement
réduit. Alors, écrivains, journalistes ou chroniqueurs font ce qu’ils peuvent,
en acceptant de tourner en rond parfois, ou en trouvant leur salut dans la
prise de distance, la description du ressenti émotionnel ou des images que la
musique génère offrant une palette de mots plus étendue.
A la manière d’un musicien de Free Jazz s’affranchissant des
codes pour explorer de nouveaux territoires, Jean-Noël von der Weid, de sa
plume libre, s’autorise ici à évoquer les sons sans trop en parler, en laissant
son propos vagabonder pour décrire la musique de manière détournée, par une
histoire, une image.
Quand on y pense, rares sont les écrits portant sur la
musique qui ne soient soumis à des impératifs formels, puisqu’elle est très
majoritairement abordée sous l’angle ou du souvenir, ou du descriptif d’une
actualité. On parle d’un disque parcequ’il paraît, d’un concert parcequ’il
vient d’avoir lieu. On cite des références parce que ça fait bien ou on se
remémore des épisodes dantesques qui nous donnent l’illusion d’avoir à un
moment caressé l’histoire de cet art. Alors les écrits sont documentés, descriptifs,
dictés par des règles dont il est à vrai dire compliqué de s’extirper.
C’est là l’un des attraits de Papiers sonores. Pas
d’actualité ici mais une passion. Pas de nécessité d’être juste mais une simple
envie de laisser fuiter les mots, qui visiblement débordent alors que la
musique s’infuse. Ces papiers, ces feuilles qu’on tourne, parfois très vite
-comme si elles étaient ornées de dessins qui s’animent- afin de laisser le
hasard choisir la prochaine incursion
dans l’intimité de l’auteur, sont à chaque fois de petits trésors, toujours
articulés en deux parties, une courte biographie d’un compositeur, ou plus
précisément un texte de présentation, et un écrit né du voyage intérieur qu’a
engendré l’écoute d’une pièce de ce compositeur. Et l’auteur brasse large, emporté par la pluralité de ses amours musicales. De la musique classique, beaucoup, du Jazz, de la
musique contemporaine ou improvisée. La suggestion de pièces à écouter est fort
pertinente et le mélomane se plaira à errer, dans sa propre discothèque, dans
les médiathèques ou sur le net pour (re)découvrir les pépites proposées. Le
texte libre a souvent, de par le rythme des mots et de la ponctuation, une
dimension musicale qui le fait s’accorder avec la musique traitée. Jean-Noël
von der Weid hachure sa prose en reflet de l’écriture éclatée de Franco
Donatoni, ou propose une envolée lyrique lorsqu’il pose ses mots sur le 17eme
Madrigal de Gesualdo. Il transforme Charles Mingus en personnage de fiction-
mais une fiction réelle. Il plonge en profondeur dans l’interaction entre
l’accordéon de Pascal Contet et la contrebasse de Joëlle Léandre. Il écrit des poèmes, se livre à des exercices
de style magnifiques. Il joue de sa plume comme un musicien de son instrument,
en variant les techniques, les couleurs, l’intensité. La musique est parfois
explicitement abordée, mais souvent ce sont ses transpositions en images,
scènes de vies, dialogues, échanges épistolaires ou pensées vagabondes qui sont
couchées sur ces Papiers sonores.
Une presque cinquantaine de compositeur se succèdent, et
autant de textes gorgés de fantaisie et formules rêveuses. Papiers sonores est
un recueil qui se découvre et se savoure avec le temps. Le lire d’une traite
reviendrait à écouter sans pause toutes les musiques sublimes qui y cohabitent.
Chacune d’elle mérite son moment, et ses silences. Les mots de Jean-Noël von
der Weid, pareils aux notes d’une œuvre complexe mais immédiatement
enchanteresse, se doivent de résonner.
Dans une ode poétique à la musique et sa puissance impalpable
que révèle l’Andante tranquillo de
« Musique pour cordes, percussion et célesta » de Bela Bartók,
l’auteur écrit ceci :
« On ne s’en méfie jamais assez, de la musique, ses
sons ne sont que sons, ne sont que présences d’effacement, ils expriment la
musique, seulement la musique… »
C’est assez vrai. Mais rarement elle n’aura été si bien
servie par le verbe qu’au long de ces délicieuses pages.
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