
Sébastien Texier : Saxophone alto, clarinette, clarinette alto
Jean-Charles Richard : Saxophones soprano et baryton, flûte Bansuri (sur le DVD)
Bruno
Angelini : Piano
Mauro
Gargano : Contrebasse
Christophe Marguet : Batterie, compositions
En 2010, à l’occasion de la sortie du très beau Buscando la luz (également sur le label Abalone), nous avions rencontré
Christophe Marguet. Durant cet entretien, il avait évoqué deux projets, un
nouveau répertoire pour son groupe Résistance Poétique devenu quintet, et une
création Franco-Américaine, le sextet Constellation dont les premières
prestations ont enthousiasmé ceux qui ont eu la chance d’y assister, notamment
lors du festival Jazz sous les pommiers. Nous y reviendrons. Cela fait donc
plus de deux ans que ces projets murissent dans l’esprit du batteur comme le
bon vin vieillit en fut. Le présent disque/DVD, grand cru fruité et puissant,
en atteste.
Cela fait (déjà !) 16 ans que Christophe Marguet met en
musique ses résistances poétiques, chants d’amour et de rage, manifestes
engagés au sein desquels les plus belles mélodies se fondent dans un jeu
collectif aiguisé sur lequel soufflent les vents tumultueux de l’improvisation.
D’abord nom d’album puis nom de formation depuis la sortie de Itrane, le groupe, dès lors enrichit
d’une dimension harmonique sous les doigts de Bruno Angelini, se fixe, et
s’attache à rendre son jeu plus compact, plus serré, plus incisif parfois.
Durant cette période, l’indisponibilité de Sébastien Texier pour certains
concerts a amené le batteur à inviter Jean-Charles Richard, ses saxophones, ses
flûtes et sa fantaisie inspirée. Le courant passe, et l’idée vient d’associer les deux
saxophonistes. Riche idée car leur complémentarité saute aux oreilles, tant au
niveau du son (tous les deux sont poly-instrumentistes, mais jouent des
instruments aux registres et couleurs différentes) que de leur identité
musicale. D’autant que l’on connaît la propension, entre autres qualités, qu’a
Sébastien Texier pour mêler son jeu à celui de saxophonistes puissants (Daniel
Erdmann au sein du groupe Wared
d’Edouard Bineau, Francesco Bearzatti dans le Nord-Sud Quintet d’Henri Texier, François Corneloup…) et en
profiter pour exacerber sa sensibilité. Au saxophone soprano comme au baryton, Jean-Charles Richard apporte un éclairage nouveau mais aussi de la fougue, et les solos ébouriffants, en déluge de notes braisées, qu'il joue ici et là contrastent avec le phrasé en volutes lyriques de Sébastien Texier. Après avoir ajouté l’harmonie, Christophe Marguet
double les voix… et multiplie les voies, creusant encore un peu plus profond la
terre fertile de son écriture.
Lors d’un concert donné en quartet dans un club parisien, le
batteur expliquait avoir intitulé le second titre du précédent album
« Enfin ! » pour symboliser sa satisfaction d’avoir [enfin]
composé un titre rapide… Et bien ceux qui parmi vous connaissent bien l’univers
du musicien constateront que le répertoire de Pulsion évolue plus dans ce registre, la musique n’ayant rien
perdu, au contraire, de sa dimension lyrique et évocatrice. C’est simplement
que des titres comme « Wasini Sunset », « Tiny Feet
Dance », « San Francisco » (propulsé par Bruno Angelini, qui
délivre sur ce titre un solo magistral) ou le sublime « Amboseli »
dégagent une irrésistible atmosphère positive. A côté de ces titres enlevés,
des pièces plus posées font respirer l’ensemble. Ainsi l’album démarre en
apesanteur avec « Esperanto », titre lancinant qui nous ouvre les
portes de l’univers du groupe, puis est jalonné par de beaux moments poétiques
comme « Coral Spirit », marqué par une légère tension caractéristique
des ambiances qu’affectionne le batteur ou « Le repère », que Mauro
Gargano porte à bout de bras, y déployant un jeu dont l’amplitude lui octroie
la double fonction de voix et d’ossature rythmique. Il joue la mélodie, suggère
l’harmonie, tient impeccablement son rôle rythmique, avec le soutient
bienveillant de Christophe
Marguet, qui s’efface comme pour mieux profiter de son propre spectacle. Interprété
dans l’épure, le morceau est magnifié lorsque le groupe y appose, comme une
évidence, un magnifique thème joué à l’unisson par les deux saxophonistes. Au
centre de l’album, « Noces » bénéficie d’une construction originale
puisque s’y succèdent une première partie très ancrée dans le sol exclusivement
jouée par Christophe Marguet et Mauro Gargano, une seconde, beaucoup plus
aérienne, durant laquelle le piano de Bruno Angelini et le saxophone alto de
Sébastien Texier jouent à se voler après, puis une troisième ou le groupe,
réunifié accueille la voix de Jean-Charles Richard pour un final qui s’articule
autours d’un thème simplement beau.
On en vient à se
demander si le titre du disque fait allusion à la dynamique musicale ou à
l’envie, aux battements de cœur. C’est un peu tout ça à la fois, finalement,
puisque la musique nous saisit le corps et l’âme par son déluge de mouvements
et de pensées, d’actes et d’images, de résistances et de poésies. Le répertoire
tout entier est magnifique, chaque titre bénéficie d'une écriture soignée, tant sur l'aspect mélodique que sur la mise en perspective des thèmes (notamment par la diversité des rythmes-pulsations-pulsions proposés et le remarquable travail harmonique de Bruno Angelini) et l’implication des musiciens, tous leaders
passionnants en d’autres occasions, est palpable dans le jeu collectif comme
dans leurs interventions solistes, sur disque comme sur scène. Il s’agit d’un
vrai beau groupe qui commence à avoir sa petite histoire, et la complicité,
musicale et humaine, des cinq musiciens représente à n’en pas douter un
ingrédient important de cette réussite puisque c’est au cœur de ce jeu partagé
que les chorus trouvent un terreau favorable, comme l’épice relève un plat.
Comme un bonheur n’arrive jamais seul, le présent disque est
accompagné d’un DVD qui nous permet d’apprécier l’énergie déployée en live à
travers la captation d’un concert donné au festival Jazzdor en 2010. Les titres
qui y sont joués sont ceux du disque, excepté « Esperanto » qui cède
sa place au « Enfin ! » dont il était question un peu plus haut.
Je vous laisse le soin de vous adonner au petit exercice de comparaison, mais
retenons le talent de
Christophe Marguet et ses copains pour faire vivre leurs
morceaux en les développant avec des intentions renouvelées, comme le montre la
transformation subie par le titre « Noces », dont l’architecture a
été totalement repensée entre ce concert et l’enregistrement. Sur scène, les
formats sont un peu plus longs et les solistes plus incisifs, puisque le
contexte s’y prête. La longue et puissante introduction du batteur sur
« Tiny Feet Dance » peut à elle seule illustrer la générosité dont
ils savent faire preuve devant leur public. Les heureux spectateurs du concert
organisé à l’occasion de la sortie de ce disque, au Studio de l’Ermitage,
peuvent en témoigner.
Les 11 et 12 novembre 2011, juste avant de passer en studio
pour graver dans le marbre cette musique absolument magnifique, le quintet
finissait de se rôder sur la scène de l’Improviste. J’ai rapporté de ce concert
quelques images. Les plus belles dans ma mémoire, et quelques autres ici :
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