Alexandra Grimal : Saxophones tenor et soprano
Todd Neufeld : Guitares acoustique et électrique
Thomas
Morgan: Contrebasse
Tyshawn
Sorey: Batterie
Comme les étoiles.
Eparse, scintillante, placée la-haut, au firmament, la musique
toujours renouvelée d’Alexandra Grimal semble être une intarissable source de
plaisir, d’autant qu’elle revêtit des atours qui à chaque fois surprennent.
Parfois tellurique et fiévreuse, parfois diaphane et réfléchie. Toujours
captivante, exigeante et généreuse.
En ce moment, entre autres projets, la saxophoniste passe
beaucoup de temps avec ses deux quartets. L’un est européen (Nelson Veras,
Jozef Dumoulin, Dré Pallemaerts), l’autre américain. C’est avec ses compagnons
d’outre-Atlantique qu’elle a gravé ce superbe Andromeda, qui s’apprécie, comme l’observation de la voûte céleste,
en y étant pleinement consacré, libre de se laisser le loisir de l’abandon. Ce
n’est pas que la musique qui y est jouée est difficile, non. C’est simplement
que sa subtilité, sa fragilité ne souffrent pas l’écoute approximative. Les
parties individuelles et collectives laissent une large place au silence, qui
participe, à l’instar du noir profond de la nuit, à donner du sens à chaque
note-étoile, à leur permettre d’avoir une place définie, avec entre elles des
distances, des espaces qui dictent la poésie de l’ensemble. A ce titre, les
compositions d’Alexandra Grimal ont une réelle dimension picturale, et peuvent
exprimer beaucoup de choses avec très peu de notes. Plus qu’une économie de
moyen, il s’agit ici d’un art du dépouillement. Le premier morceau,
« Little Step », peut illustrer cette démarche. La saxophoniste y
joue, en tout et pour tout, 15 notes. 8 en introduction, une note un peu tenue
au centre de la pièce, puis, à la fin, deux fois trois notes, séparées par une
longue respiration. 15 notes seulement. Mais qu’elles sont belles. Pour autant,
le quartet ne s’enferme pas dans ces schémas dillués, et sait donner à sa
musique de la densité, comme durant la belle improvisation d’Alexandra Grimal
sur « Cassiopée », qui amène une tension alimentée par l’énigmatique
errement qui la suit. On
y entend, à travers les harmoniques suspendues de Todd Neufeld, la ligne
spatiale de Thomas
Morgan et les bruits de gong de Tyshawn Sorey, la symbiose, en vision partagée,
du groupe. Tout paraît si logique et si organisé. Tout est pourtant, d’un point
de vue formel, si complexe…
On peut d’ailleurs supposer que c’est pour arriver à cela
qu’Alexandra Grimal a décidé de s’entourer de ces trois musiciens américains,
dont l’approche et la sonorité correspondent parfaitement à ses intentions
musicales. Si l’on regarde un peu en arrière, on s’aperçoit que les trois
américains avaient gravé ensemble, avec Tyshawn Sorey comme leader, un très
beau disque lui aussi épuré, Koan. La
saxophoniste a pour sa part enregistré un certain nombre de Koans musicaux en
duo avec Giovanni Di Domenico sur l’album Ghibli
parut sur le label Sans Bruit. Soit une attirance commune pour les petits
formats simples en surface et conçus comme des portes d’entrée à la réflexion,
à l’approfondissement. Ce que l’on retrouve au long des 6 compositions du
présent disque, dont les thèmes à proprement parlé sont de petits motifs dont
découlent de longs développements organisés en flux d’énergie plus ou moins
denses, au cours desquels chacun trouve le temps d’apposer sa griffe
personnelle, sans pour autant se mettre en position soliste. L’improvisation
est omniprésente mais balisée par un travail d’écriture précis. Il n’empêche,
les promenades harmoniques de Todd Neufeld, la sonorité singulière et les
qualités de placement de Thomas
Morgan, les motifs percussifs mouvants de Tyshawn Sorey sont de vrais délices.
La musique d’Andromeda
ne brille, comme la nuit, que grâce aux myriades de lumières discrètes dont
elle est constellée. Alexandra Grimal pose un nouveau jalon dans son
irréprochable et hétérogène discographie. C’est donc avec des étoiles plein la
tête que nous attendrons la sortie de son prochain disque enregistré, cette
fois, avec son passionnant quartet « européen ». Pour l’heure,
rendez-vous sur le site du label Ayler Records. Vous pourrez vous y procurer ce
petit concentré de poésie lunaire.
Je vous invite également à lire la passionnante interview d'Alexandra Grimal par Laurent Poiget sur Citizen Jazz.
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