Théo Ceccaldi : violon, alto
Alexandra Grimal : saxophones, voix
Yvan Gélugne : contrebasse
Florian Satche : batterie
Alexandra Grimal : saxophones, voix
Yvan Gélugne : contrebasse
Florian Satche : batterie
L’usine de la Jazz Fabric de l’ONJ tourne à plein. Il se
passe plein de choses, de la vapeur s’échappe des bouches d’aération du Carreau
du Temple, où les troupes d’Olivier Benoit ont pris leurs quartiers. Et quand
les troupes en question sont issues où affiliées au Tricollectif, dont il émane
en parallèle une énergie créatrice puissante, on est au cœur d’un mouvement
important du jazz d’ici et de maintenant. Profitons donc de ça, car c’est un
versant important de notre musique, celle qu’il nous appartient de soutenir, de
goûter, de partager.
Le présent répertoire est inspiré par le film Entr’acte, dont l’aspect décalé sied à
merveille au violoniste, qui trouve –à juste titre- dans les images de René
Clair le pendant cinématographique de sa propre écriture. Les deux ont en
commun une abstraction chargée de poésie et légèrement provocatrice, un art de
l’ « autrement dit », de la suggestion ou de la fausse piste. Le
musicien comme le cinéaste proposent des angles inhabituels, des lignes qui se
croisent. Il y a chez chacun d’eux un travail sur la surexposition ou la
sous-exposition qui met en lumière des formes, estompe des contours. Il y a
aussi un travail sur la surimpression, d’une image sur l’autre, d’un motif
mélodique sur une structure rythmique qui ne se marient que parce que
l’ensemble est beau. Mais surtout, Théo Ceccaldi et son quartet ont cette
capacité à emballer leur propos, tel le cortège du film, qui sautille avec
grâce puis se précipite à la poursuite du corbillard lancé à vive allure.
La musique est toujours en équilibre entre l’écrit et
l’improvisé, le grave et le léger. Toujours sur le point de basculer, puissante
et fragile, dense et minimale. Complexe et directe. Pour le coup, Petite Moutarde, avec ses compositions
lisibles et un recours important aux ressources personnelles du quartet, ne
tarde pas à livrer à l’auditeur son enivrante énergie. Celle-ci n’est
aucunement réfrénée, et il est fréquent au long du disque que le groupe passe à
table, livrant d’incandescents solos au cœur d’un propos collectif en
permanence alimenté de toutes parts. Les parties respectives sont tout à la
fois aventureuses et convergentes. La quantité pléthorique d’informations est
canalisée par une volonté de créer du jeu, de favoriser l’expression. Ca
envoie, comme on dit, mais avec quelle intelligence ! Entre les textures
des parties à l’archet (violon et contrebasse), les mélodies sinueuses et leurs
prolongements improvisés, la fantaisie d’une rythmique qui s’amuse à se
déplacer, entre les reflets irisés des timbres mariés et les envolées incisives
des solistes, on traverse cette heure de musique d’un trait, les temps de
respiration aménagés permettant tout juste de reprendre notre souffle avant de
nouveaux épisodes épiques.
Il convient de préciser que la prise de son est vraiment
excellente. D’une part pour saluer le travail si important des magiciens du son
qui travaillent dans l’ombre (Boris Darley, Mehdi Chefaï, Arthur Gouret,
Mathieu Pion et Pierre-Emmanuel Meriaud pour ce disque), mais aussi parce que
le jeu des musiciens, toutes les subtilités qui le composent, sont
magnifiquement restituées. Les basses généreuses et les vibrations telluriques
d’Yvan Gélugne, les effleurements, frottements et bourrasques de Florian
Satche, les sonorités chaudes, tranchantes ou timides d’Alexandra Grimal (qui
élargit son spectre en utilisant, en plus des ténor et soprano habituels, le
sopranino et sa voix – voire plusieurs d’entre eux en simultané) et les
délicates harmoniques, les nappes aériennes et les incandescences du violon
sont d’une grande clarté. Alors, miniatures basées sur un thème nerveux,
longues ascensions tendues vers des explosions rythmiques, structures
accidentées et inquiétants à-plats, soudains virages et changements de cap,
mélodies empressées, ambiances sombres et éclairages indirects jaillissent de
cette longue suite passionnante et percutante.
Sur scène, le spectacle bénéficie en outre d’images
projetées et de jeux de lumières. Le plaisir des yeux n’est pas en reste, mais
avant de vous précipiter sur les prochains concerts du groupe, il est très
vivement recommandé d’écouter cette petite bombe qui explose comme le ferait en
bouche la liste réunie des épices utilisées pour les titres des morceaux. C’est
relevé, hein, mais bonjour les saveurs.
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