15 février 2017

Roberto Negro - Garibaldi Plop




Roberto Negro : piano
Valentin Ceccaldi : violoncelle
Sylvain Darrifourcq : batterie


L’habituel regard espiègle, celui qu’on connaît à Roberto Negro, est absent, ou du moins effacé, du visage qui orne la pochette de Garibaldi Plop, mais les traits sont familiers.  Ce n’est pas le pianiste, mais son père, Giorgio Negro, au sortir de la seconde guerre mondiale qui fût pour lui comme pour beaucoup à l’origine de surprises de mauvais goût. Une lettre glissée dans le disque en guise de livret évoque la difficulté des conditions de vie. Le froid, la faim, la peur, le péril des valeurs. C’est à partir d’une anecdote relatée par son père et dont témoigne la photo utilisée pour le recto et le verso de la pochette du disque que Roberto Negro a imaginé ce programme. Une escapade un peu folle du jeune Giorgio et de deux de ses acolytes de la brigade Garibaldi ; une histoire dont seules les périodes troublées de l’histoire peuvent être le théâtre. L’époque, le contexte et le lieu ne sont fort heureusement plus les mêmes, mais on ne peut s’empêcher de remarquer la similitude entre le pianiste et son père. Le culot, la prise de risque, l'audace.

L’évocation de l’escapade de ces trois jeunes italiens que l’on imagine perdus dans une tempête d’émotions contraires (obéir, survivre, risquer, endurer, manger…) donne lieu à une suite dont les différentes parties relatent des faits liés à l’aventure en question, et dont l’interprétation est toujours intense, picturale. Le trio que le pianiste forme avec la paire rythmique Valentin Ceccaldi / Sylvain Darrifourcq  évoque la course effrénée avec une musique traversée de violence, aux ruptures fortes, une musique inondée par un piano pressant et propulsée par une rythmique effervescente. Ce qui se joue ici c’est aussi l’attente, la peur, comme durant les deux parties de « Camouflage », dont la deuxième atteint des sommets de tension sous l’archet de Valentin Ceccaldi, et les fulgurances du piano et de la batterie, qui s’évaporent au gré de quelques accords en forme de délivrance. Tout bien entendu n’est pas enfermé dans un registre sombre. La musique du trio n’est dépourvue ni d’humour, ni d’optimisme. Cette histoire comporte des passages heureux, comme celui du « festin » (« Farina, crusca e voto alla Madonna »), durant lequel le trio joue sur des contrastes forts pour dépeindre la préparation du repas, son partage, où la sensation retrouvée de satiété, sûrement. Avec une alternance d’éclairs, de passages bruitistes et de pulsation dansante, Roberto Negro nous invite à la table de bois, au dessus de laquelle on imagine les visages amusés et tendus. 

Au fil de ce programme concis et magnifiquement scénarisé, le trio saisit toutes les occasions de développer, et avec quelle véhémence, des petites histoires plus ou moins heureuses, toujours baignées dans une atmosphère à la fois brumeuse et poisseuse, mais ponctuées de notes acidulées, d’éphémères jaillissements de joie.  Roberto Negro, Valentin Ceccaldi et Sylvain Darrifourcq, eux aussi un peu maquisards, incarnent magnifiquement cette torpeur latente, ce mélange aigre-doux d’arrogance et d’incertitude. Leur musique n’est pas de celles qui se consument paresseusement, elle est ardente, explosive, poignante, imprévisible jusqu’à un aboutissement en forme de résurgence où le trio, devenu fantomatique comme de lointains souvenirs, porte les mots, prononcés comme s’ils n’étaient pas si graves, du papa résistant.

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