Roberto Negro : piano
Valentin Ceccaldi : violoncelle
Sylvain Darrifourcq : batterie
L’habituel regard espiègle, celui qu’on connaît à Roberto
Negro, est absent, ou du moins effacé, du visage qui orne la pochette de Garibaldi
Plop, mais les traits sont familiers. Ce
n’est pas le pianiste, mais son père, Giorgio Negro, au sortir de la seconde
guerre mondiale qui fût pour lui comme pour beaucoup à l’origine de surprises
de mauvais goût. Une lettre glissée dans le disque en guise de livret évoque la
difficulté des conditions de vie. Le froid, la faim, la peur, le péril des
valeurs. C’est à partir d’une anecdote relatée par son père et dont témoigne la
photo utilisée pour le recto et le verso de la pochette du disque que Roberto
Negro a imaginé ce programme. Une escapade un peu folle du jeune Giorgio et de
deux de ses acolytes de la brigade Garibaldi ; une histoire dont seules
les périodes troublées de l’histoire peuvent être le théâtre. L’époque, le
contexte et le lieu ne sont fort heureusement plus les mêmes, mais on ne peut
s’empêcher de remarquer la similitude entre le pianiste et son père. Le culot,
la prise de risque, l'audace.
L’évocation de l’escapade de ces trois jeunes italiens que
l’on imagine perdus dans une tempête d’émotions contraires (obéir, survivre,
risquer, endurer, manger…) donne lieu à une suite dont les différentes parties
relatent des faits liés à l’aventure en question, et dont l’interprétation est
toujours intense, picturale. Le trio que le pianiste forme avec la paire
rythmique Valentin Ceccaldi / Sylvain Darrifourcq évoque la course effrénée avec une musique
traversée de violence, aux ruptures fortes, une musique inondée par un piano
pressant et propulsée par une rythmique effervescente. Ce qui se joue ici c’est
aussi l’attente, la peur, comme durant les deux parties de
« Camouflage », dont la deuxième atteint des sommets de tension sous
l’archet de Valentin Ceccaldi, et les fulgurances du piano et de la batterie,
qui s’évaporent au gré de quelques accords en forme de délivrance. Tout bien
entendu n’est pas enfermé dans un registre sombre. La musique du trio n’est
dépourvue ni d’humour, ni d’optimisme. Cette histoire comporte des passages
heureux, comme celui du « festin » (« Farina, crusca e voto alla
Madonna »), durant lequel le trio joue sur des contrastes forts pour
dépeindre la préparation du repas, son partage, où la sensation retrouvée de
satiété, sûrement. Avec une alternance d’éclairs, de passages bruitistes et de
pulsation dansante, Roberto Negro nous invite à la table de bois, au dessus de
laquelle on imagine les visages amusés et tendus.
Au fil de ce programme concis et magnifiquement scénarisé,
le trio saisit toutes les occasions de développer, et avec quelle véhémence,
des petites histoires plus ou moins heureuses, toujours baignées dans une
atmosphère à la fois brumeuse et poisseuse, mais ponctuées de notes acidulées,
d’éphémères jaillissements de joie. Roberto
Negro, Valentin Ceccaldi et Sylvain Darrifourcq, eux aussi un peu maquisards,
incarnent magnifiquement cette torpeur latente, ce mélange aigre-doux d’arrogance
et d’incertitude. Leur musique n’est pas de celles qui se consument
paresseusement, elle est ardente, explosive, poignante, imprévisible jusqu’à un
aboutissement en forme de résurgence où le trio, devenu fantomatique comme de
lointains souvenirs, porte les mots, prononcés comme s’ils n’étaient pas si graves,
du papa résistant.
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