Pierre Durand : guitare
Hugues Mayot : saxophone tenor
Guido Zorn : contrebasse
Joe Quitzke : batterie
Hugues Mayot : saxophone tenor
Guido Zorn : contrebasse
Joe Quitzke : batterie
Savoir rester en prise directe avec ce qui le nourrit tout
en développant son propre univers n’est pas la moindre qualité de Pierre
Durand. Cela transpirait déjà dans le premier chapitre de son histoire, NOLA Improvisations, pour lequel il
avait traversé l’Atlantique afin d’aller improviser, à la Nouvelle Orléans, sur
le lieu de naissance de nombre de ses musiques de cœur. Chez lui, les
influences (blues, jazz, rock, musique classique ou encore bien des folklores)
sont comme autant de moyens d’extérioriser son chant intérieur. Tout ce qu’il
joue est tripal, façonné par le travail (d’absorption, de mise en forme) mais
soumis à l’élan.
Lors de la sortie de son premier disque, une carte blanche
lui avait été confiée sur la péniche L’Improviste, et il avait pu, six soirées
durant, mettre en lumière un aspect spécifique de sa musique. Voyages,
standards, musique pour image, musiques de l’image… J’ai rendu compte de ces
soirées sur Citizen Jazz, et reste vive l’impression d’entendre un musicien
donnant du sens à son propos en interrogeant ses racines. Pierre Durand, c’est
le mec qui aime jouer bien au fond du temps, qui s’émerveille d’une mélodie de
dentelle, qui paye son tribut aux ainés, qui fait crier sa guitare, qui
projette autant d’intensité dans le susurrement d’une suite d’accords délicats
que dans la superposition de riffs rageurs, qui trouve naturellement, parmi les
musiques aimées et intégrées, l’approche qui sied à ce qu’il joue et ce qu’il
souhait exprimer. Cela s’entend dès l’ouverture du disque, où le morceau
« Tribute » représente un voyage dans le temps où est contée, non
sans concision, l’évolution du jazz, du berceau Africain jusqu’aux formes
actuelles.
C’est parce que ses racines sont nombreuses et profondes que
sa musique est si vivante et sonne juste. Le Roots quartet, formation dont le
nom peut tout aussi bien renvoyer à ces « sources » qu’à l’énergie
toujours brute de son jeu, se fixe sur disque après plusieurs années
d’existence. Et comme par inversion des valeurs, l’improvisation presque totale
du premier chapitre laisse place un une musique travaillée, polie, façonnée à
cinq, le temps ayant à coup sûr fait sa part du travail. La production, dont il
convient de souligner la qualité, va dans ce sens. Au rendu naturellement
imparfait de son solo succède un son de groupe puissant, rond et propre. La
musique, elle, est différente mais conserve les caractéristiques qui avaient
suscité l’enthousiasme lors de la sortie de NOLA
improvisations : elle demeure en équilibre entre la sophistication et
le chant, avec ses formes renouvelées qui jamais ne voilent l’intention
première.
Dans l’interprétation de ces compositions, dont certaines
sembleront familières à qui suit un peu le guitariste, le quartet est lumineux.
La formation a suffisamment de vécu pour que chacun puisse y déployer sa personnalité.
C’est précisément une rythmique de caractère qu’a sollicité le guitariste. Le
jeu aéré, parfois ascétique de Joe Quitzke et les lignes élégantes de Guido
Zorn confèrent une couleur rythmique unique, à la fois ronde et pleine
d’aspérités. Hugues Mayot, avec sa sonorité chaleureuse dépourvue de vibrato,
joue la carte d’une apparente simplicité. Peu d’éruptions dans ses
interventions, mais des notes choisies et des phrases empreintes d’un lyrisme
discret. Toute la magie de cet équilibre éclate dans un « Self
Portrait » où, dans une narration délicate, se succèdent trois parties aux
nom évocateurs : « L’atrappe-rêve / La danse du voyage /
Mingus ». Le grand Charles, on y repense dans « Le regard des
autres », une composition à tiroirs
qui représente la proposition la plus ancrée dans le jazz. Ailleurs, de
nombreux horizons sont évoqués, le plus souvent par des morceaux calmes et
envoûtants, telles les magnifiques ballades « Llora, tu hijo a
muerto » et « My Fighting Irish Girl », toutes deux
représentatives de la capacité du groupe à se fondre dans des traditions différentes,
ou encore « Les noces de menthe », qui fait à nouveau jour sur les
talents de mélodiste de Pierre Durand.
¡Libertad !
est un disque riche et serein, auquel on revient avec un plaisir intact. Donner
à cette musique cette esthétique sincère est une des libertés prises par ce
Roots Quartet, qui montre ici comme lors de ses concerts une belle capacité à
allier énergie et raffinement.
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