Gabriel Lemaire : saxophones alto et baryton,
clarinette
Quentin Biardeau : saxophones ténor et soprano
Bart Maris : trompette, bugle et trompette piccolo
Valentin Ceccaldi : violoncelle
Adrien Chennebault : batterie
Dans leur volonté d’aller systématiquement de l’avant, les
groupes issus du Tricollectif ont pris la bonne habitude d’augmenter la
formation d’un invité pour leur deuxième réalisation, qui influe nécessairement
sur le jeu collectif et la couleur du son d’ensemble. Tout comme Joëlle Léandre
avec le trio de Théo Ceccaldi ou Samuel Blaser avec Marcel et Solange, Bart
Maris vient apporter sa pierre à l’édifice de Walabix.
On a d’ailleurs l’impression d’avoir affaire à un groupe totalement
différent, bien qu’habité par les mêmes individus (exception faite du
trompettiste, c’est entendu). C’est que nous avions à l’esprit la musique aérée
et moelleuse du magnifique Nus, où la pochette était parée des vers liquoreux
de Paul Eluard dont la simplicité surréaliste se reflétait dans les unissons et
envolées parallèles des deux saxophonistes tout comme dans les atours
mélodiques des compositions. Le temps n’est plus aux poèmes d’amour. Sur la
pochette figure désormais une arme, bricolée avec des détritus par André
Robillard « pour tuer la misère ». Et l’album se nomme La poesía es
un arma cargada de futuro, qui est le titre d’un poème engagé de Gabriel
Celaya, dont les mots trouvent en la musique du quintet une résonnance
particulière.
« Je maudis la
poésie conçue comme un luxe
Culturel par ceux qui sont neutres
Ceux qui, en se lavant les mains, se désintéressent et s'évadent.
Je maudis la poésie de celui qui ne prend pas parti jusqu'à la souillure.
Je fais miennes les fautes. Je sens en moi tous ceux qui souffrent.
Et je chante en respirant. »
Culturel par ceux qui sont neutres
Ceux qui, en se lavant les mains, se désintéressent et s'évadent.
Je maudis la poésie de celui qui ne prend pas parti jusqu'à la souillure.
Je fais miennes les fautes. Je sens en moi tous ceux qui souffrent.
Et je chante en respirant. »
C’est exactement ça. Ce disque, paru sur le label Becoq, est un cri, un cri d’effroi
autant qu’un cri d’amour. Un hurlement collectif d’une grande beauté. Une œuvre
où l’écriture est enfouie sous une épaisse couche d’expression spontanée, comme
le trait est engloutit par les jets de peinture du peintre emporté. Mais les
formes s’éclaircissent au fil des écoutes, et derrière la rage se devinent sans
peine l’empathie, la souffrance et la consternation.
La distance fut longue entre les écoutes – nombreuses – et
les mots. Cet album est comme ces toiles dont on se dit qu’il est toujours trop
tôt pour en détourner le regard. Qu’il faut du temps pour les percer, les accueillir.
Au fur et à mesure des passages, des écoutes attentives ou rêveuses, la
violence s’évapore. Reste, étincelante, la déclaration d’amour à la vie,
entière.
La poesía es un arma cargada de futuro prend la forme d’une
longue suite qui démarre par une impressionnante mise en tension de plus de dix
minutes durant laquelle le rugissement du baryton de Gabriel Lemaire et la
densification de la rythmique exhortent le bugle et le saxophone de Quentin
Biardeau à voleter sans retenue. Ce titre ouvre le programme par une explosion
qui fait voler en éclats la musique. Elle retombe en débris épars, petits
fragments mélodiques dispersés. Ces fragments se retrouvent, se réorganisent
comme un peuple brisé, comme pour résister, encore. A la fragilité des
intentions bruitistes et des souffles atonaux succède une reconstruction qui
aboutit à un jeu collectif souverain. C’est « Astrol ». Valentin
Ceccaldi y joue une ligne de basse que le registre medium du violoncelle paraît
inciter à se répandre, à bouger sans cesse. Saxophones et trompette y
entretiennent une conversation fougueuse. Vient ensuite le recueillement, comme
communion grave précédent le combat. Bart Maris prend ce qu’on peut considérer
être le seul solo du disque (les autres interventions individuelles sont
fondues dans le propos collectif), une magnifique prise de parole mélodique et
sensuelle posée sur un battement de toms et des textures créées par Lemaire et
Biardeau. « Anve » est une musique de révolution. L’armée des poètes
en marche. L’interprétation hurlante et asymétrique du thème par les vents
donne un souffle conquérant à ce morceau, qui s’évanouit dans une myriade de
tintements de cymbales. L’album se clôt par une courte pièce apaisée confiée
aux seuls soins des trompettes et saxophones.
La poesía es un arma cargada de futuro. Ne pas s’endormir.
Ne pas oublier. Ne pas fermer les yeux. En leur temps, de pareilles intentions
inspirèrent Not In Our Name à Charlie Haden ou People In Sorrow à l’Art
Ensemble Of Chicago, entre autres dizaines de références qui ne valent que pour
l’exemple. Quoi qu’il en soit, le nouveau Walabix est juste indispensable.
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