Ricardo
Izquierdo : saxophones tenor et soprano
Jason Palmer : trompette
Manu Codjia : guitare
Bojan Z : piano et Fender Rohdes
Mauro Gargano : contrebasse
Jeff Ballard : batterie
Jason Palmer : trompette
Manu Codjia : guitare
Bojan Z : piano et Fender Rohdes
Mauro Gargano : contrebasse
Jeff Ballard : batterie
+ Adama Adepoju et Frédéric Pierrot (récitants)
Pouvoir enfin écouter cette Suite pour Battling Siki est un
soulagement. Ca y est, nous avons accès à ce programme enregistré début 2012 et
dont le site de Mauro Gargano signalait l’existence depuis lors, nous laissant
dans l’expectative d’une sortie attendue mais jamais annoncée. Quel est ce
monde bizarre où de tels projets restent si longtemps dans les tiroirs… Allez,
faisons fi de cette frustration désormais caduque et célébrons la sortie de cet
album magnifique ! Sortie d’autant plus attendue que le contrebassiste,
aussi actif soit-il en tant que sideman, se fait assez parcimonieux quant à ses
projets personnels, la sortie de Mo’Avast datant déjà de 2012…
Dès la mise en lecture de ce disque, on comprend que
l’attente n’aura pas été veine. La musique est franche, dynamique, positive.
Elle est comme une extension du jeu de Mauro Gargano, que l’on sait attentif autant
à l’élégance mélodique qu’à la puissance du rythme. Pour le coup, les
compositions de l’album sont interprétées par un groupe superlatif qui tient
toutes ses promesses. Les excellents Jason Palmer et Ricardo Izquierdo habitent
les thèmes, soufflent de délicieux contre-chants et embrasent la musique à
travers des solos qui ont du sens. Bojan Z et Manu Codjia, chacun à leur manière,
colorent le son du groupe, profitent de situations de jeu pour plonger
profondément dans leurs propres univers, pour mieux in fine servir celui de
Gargano. L’ensemble est propulsé par une rythmique qui va à l’essentiel,
entendez l’entretien du groove, tout en restant dans une logique narrative qui
les amène à développer beaucoup d’idées et de phrases qui tourne autour de leur
structure rythmique pour y apporter de la diversité.
Cette suite est une évocation du parcours de Battling Siki,
le premier champion du monde de boxe d’origine africaine. Les compositions sont
des « Rounds » qui font chacun allusion à des étapes charnières de la
carrière ou de la vie du boxeur. Entre chaque round, on peut entendre le coach,
interprété par Frédéric Pierrot, haranguer le boxeur (Adama Adepoju) tandis que
celui-ci livre ensuite sa propre vision de la même scène, avec une hauteur et
un point de vue totalement différent. Les textes dressent du sportif un
portrait touchant, à travers lequel on comprend son vrai combat, loin des lieux
communs associant la boxe à une sorte d’art ultime, abusivement noble,
fondamentalement brutal, où, au mieux, profondément technique et physique.
D’accord, il y a ça. Mais Battling Siki se bat pour lui-même, contre lui-même.
Pour ou contre le monde, selon qu’il ait ou non bien voulu l’accepter. Siki ne
cours pas après l’argent (même s’il l’a aimé), ne cherche pas à séduire. Il
relativise l’importance de l’image, parfois même de la victoire, si ce n’est
pour lui-même.
La musique, percutante et sensible, physique et délicate,
prend le relais de ces interludes théâtraux. A chaque Round sa ville. Cela
démarre à Saint-Louis au Sénégal, d’où Siki est originaire. D’emblée la musique
est prenante, sorte de blues groovy avec un long pont central où la guitare et
les instruments à vents font circuler entre eux un motif identique. Vient le
temps du travail de l’entraînement. Jason Palmer s’exprime avec pour seule
rythmique le sifflement de la corde à sauter, qui bat le sol à mesure
régulière. Le boxeur travaille, l’homme grandit On embarque ensuite pour
Marseille, qui symbolise l’arrivée du boxeur en europe où il devra tout
construire et vivra un début de carrière difficile jusqu’à la première guerre
mondiale, durant laquelle il sert l’armée Française. La lente éclosion du morceau peut être perçue
comme le reflet de cette période où les pièces s’assemblent. Manu Codjia et
Bojan Z y croisent leurs solos, backés une fois de plus par de belles harmonies
entre la trompette et le saxophone, Ricardo Izquierdo prenant le relais de la
guitare et du Rhodes pour un solo engagé qui rend justice à sa musicalité et à
sa belle sonorité. Viendra ensuite « Amsterdam », qui correspond à
une période faste pour le boxeur, qui enchaîne une grande quantité de
victoires. Tant et si bien que Siki sera
amené à défier Georges Carpentier pour le titre de champion du monde des poids
lourds. C’est le round « Paris », où le thème évoque la gloire et où
le jeu collectif transcrit l’excitation, la victoire. On imagine à l’écoute des
triomphaux solos de trompette ou de soprano les émotions vécues par le boxeur
devant les 40 000 personnes présentes dans l’arène de Montrouge. Accusé de
tricherie, Siki devra lutter pour faire accepter sa victoire mais de toutes
façons il aura dû lutter pour tout, y compris pour faire valoir ses droits
d’homme noir dans une société encore peu encline à les accepter. D’autant que
le boxeur n’est pas un enfant sage. Il boit, sort, oublie l’importance d’un
entraînement sérieux, et lui préfère le champagne et les femmes. Les temps
forts sont passés, et il perdra sa ceinture à Dublin face à Mike Mc Tigue. Mauro Gargano met en
musique cet épisode avec une composition grave et profonde, maintenue dans une
apesanteur cinématographique par
quelques accords de piano joués en boucle et une rythmique presque
martiale. L’aspect inquiétant du thème est renforcé par l’abstraction
entretenue par Manu Codjia, qui fait jaillir de sa guitare de petits nuages
sombres et des stridences électriques. Siki partira ensuite pour les
Etats-Unis. A New York, il vit sa vie de fêtard mais délaisse la boxe. Le
sextet joue sur ce round un jazz très influencé par les canons américains, avec
une rythmique ternaire claire et beaucoup de place laissée aux solos. A la fin
du morceau, Jeff Ballard monte en tension tandis que le reste du groupe se fige
sur quelques harmonies sombres, possible évocation de son assassinat par un
policier en décembre 1925. Le rapatriement de ses restes à Saint Louis donne
l’occasion au sextet de clôturer ce très bel hommage sur une note festive,
ensoleillée. On finit par croire le sénégalais délivré, dans la mort, de ses
souffrances et de ses poids.
Mauro Gargano et son sextet viendront présenter ce programme
au Sunside les 25 et 26 février prochains. M’est avis qu’il faut y être…
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