05 février 2016

Frantz Loriot : Reflections On An Introspective Path – Urban Furrow



On est tout de même prit d’un léger vertige lorsqu’on consulte la biographie de Frantz Loriot, altiste ayant collaboré avec la crème des musiciens ambassadeurs de liberté, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. Citons en vrac Anthony  Braxton, Joëlle Léandre, David S. Ware, Eve Risser ou encore Barre Phillips. La liste est non-exhaustive mais vous savez où trouver le reste. Parcours très intéressant a plus d’un titre, mais qui permet de situer le musicien à travers les expériences qui l’ont nourries, que ce soit sur le plan de l’écriture ou de l’improvisation. La musique de Loriot est une collision du Jazz de l’AACM, de la musique contemporaine, du free le plus radical, du travail de la profondeur du son et de la mise en forme de compositions complexes dont les fondements sont éclatés sur différents fragments de l’orchestre. Nous verrons que cette musique n’en est pas moins chantante, car Loriot est aussi un enfant de la pop, qui par goût s’est toujours révélé perméable aux courants les plus divers, de la musique savante à la musique électronique en passant, entre autres, par le rock ou la mise en son de performances artistiques diverses. 

Deux sorties récentes, et presque opposables, permettent de mesurer l’étendue du spectre expressif de l’altiste.



 Frantz Loriot : alto, effets

Des deux disques évoqués ici, Reflections On An Introspective Path est sans nul doute celui qui s’adresse prioritairement à des auditeurs avisés, ou du moins enclins à se laisser porter par un discours âpre, parcouru de dissonances et  débarrassé de contingences formelles. 

Il s’agit d’une plongée, non pas dans l’intime de l’alto, ce qui serait prétentieux, ou seulement dans l’intime de l’altiste, mais bel et bien une plongée au cœur de la relation que le musicien entretien avec son instrument. Les cordes sont effleurées, pincées, frottées, frappées. Loriot et sa délicatesse le font murmurer ou siffler. Loriot et sa violence lui extirpent les sons les plus extrêmes, grincements et stridences, parfois distordus par l’utilisation d’objets et d’effets. L’album est court mais il suffit à l’altiste pour développer des situations de jeu passionnantes de par la quantité de moyens mis en œuvre pour leur donner corps et l’esthétique torturée mais fascinante qui s’en dégage. 





Frantz Loriot : alto, composition
Manuel Perovic : composition, arrangement
Joachim Badenhorst : clarinette,  clarinette basse, saxophone ténor
Sandra Weiss : saxophone alto, basson
Matthias Spillmann : trompette, bugle
Silvio Cadotsch : trombone
Deborah Walker : violoncelle, voix
Dave Gisler : guitare
Silvan Jeger : contrebasse, voix
Yuko Oshima : batterie


La musique proposée par le Notebook Large Ensemble est quant à elle beaucoup plus figurative, et cette petite merveille qu’est Urban Furrow sera prompte à ravir un plus grand nombre de paires d’oreilles. Pour exigeant qu’il soit, le répertoire composé par Frantz Loriot et Manuel Perovic à partir d’idées déposées au fil du temps sur un carnet que l’altiste conservait sur lui (pour ne pas laisser filer les idées fugaces) est gorgé d’instants de grâce, de rythmes tour à tour moelleux où accidentés, de textures travaillées, de phrases, de mélodies et d’échanges, d’effets de masse et de pépiements. Cet ensemble foisonnant est composé de musiciens qui, tous, contribuent à faire vivre ces morceaux, que les arrangements subtils de Perovic ouvrent aussi bien au travail collectif qu’aux développements individuels. C’est patent dès l’ouverture du disque, lorsque les sons épars et abstraits de l’orchestre coagulent autour de l’alto pour finalement donner vie à une pièce limpide et lumineuse, où l’ensemble des discours libres s’organisent naturellement pour suivre la ligne mélodique.

Tout ici n’est que jeux d’ambiances et de tensions, et l’on passe sans heurts de parties puissantes en épisodes discrets, les musiciens s’organisant en ensemble, en sections où demeurant seuls maîtres de leur propre discours. D’où cette sensation de mouvement qui se réfléchit dans notre écoute, toujours attirée par des détails (phrases, couleurs) éparpillés sur tout le champ auditif. Beaucoup d’éléments sont développés en simultanés mais il n’y a pas de collision, les informations restent lisibles malgré leur abondance. Et puis, chose importante, la liberté au sein de l’orchestre passe parfois par un désordre apparent (mais nous ne sommes pas dupes, il s’agit au contraire d’agencements pointus), mais il n’y a ici aucune velléité destructive. Bien au contraire, les thèmes sont cajolés par l’orchestre, qui peut, en marge de ses parties explosives et de ses digressions, mettre en place des atmosphères fragiles et poétiques, comme sur la délicate chanson « To Hr ».

Les cordes, les bois, les cuivres, les percussions et, ponctuellement, les voix, offrent une palette de timbres aux nuances infinies, ici utilisée avec autant de goût que d’audace. Les six morceaux sont autant de petites histoires superbement scénarisées et interprétées. On se prend à vouloir évoquer chaque membre du groupe, car d’eux tous émanent magie et émotion… Le plus simple serait peut-être de vous laisser seuls juges. Ce disque est paru chez Clean Feed Records, il est absolument magnifique, et il ne tiendra qu’à vous de suivre ensuite les belles pistes à exploiter que représentent tous les noms des musiciens qui y ont contribué. C’est ce que nous faisons tous, non ?

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