On est tout de même prit d’un léger vertige lorsqu’on
consulte la biographie de Frantz Loriot, altiste ayant collaboré avec la crème
des musiciens ambassadeurs de liberté, que ce soit en France ou aux Etats-Unis.
Citons en vrac Anthony Braxton, Joëlle
Léandre, David S. Ware, Eve Risser ou encore Barre Phillips. La liste est
non-exhaustive mais vous savez où trouver le reste. Parcours très intéressant a
plus d’un titre, mais qui permet de situer le musicien à travers les
expériences qui l’ont nourries, que ce soit sur le plan de l’écriture ou de
l’improvisation. La musique de Loriot est une collision du Jazz de l’AACM, de
la musique contemporaine, du free le plus radical, du travail de la profondeur
du son et de la mise en forme de compositions complexes dont les fondements
sont éclatés sur différents fragments de l’orchestre. Nous verrons que cette
musique n’en est pas moins chantante, car Loriot est aussi un enfant de la pop,
qui par goût s’est toujours révélé perméable aux courants les plus divers, de
la musique savante à la musique électronique en passant, entre autres, par le
rock ou la mise en son de performances artistiques diverses.
Deux sorties récentes, et presque opposables, permettent de
mesurer l’étendue du spectre expressif de l’altiste.
Frantz Loriot : alto, effets
Des deux disques évoqués ici, Reflections On An
Introspective Path est sans nul doute celui qui s’adresse prioritairement à des
auditeurs avisés, ou du moins enclins à se laisser porter par un discours âpre,
parcouru de dissonances et débarrassé de
contingences formelles.
Il s’agit d’une plongée, non pas dans l’intime de l’alto, ce
qui serait prétentieux, ou seulement dans l’intime de l’altiste, mais bel et
bien une plongée au cœur de la relation que le musicien entretien avec son
instrument. Les cordes sont effleurées, pincées, frottées, frappées. Loriot et
sa délicatesse le font murmurer ou siffler. Loriot et sa violence lui extirpent
les sons les plus extrêmes, grincements et stridences, parfois distordus par
l’utilisation d’objets et d’effets. L’album est court mais il suffit à
l’altiste pour développer des situations de jeu passionnantes de par la
quantité de moyens mis en œuvre pour leur donner corps et l’esthétique torturée
mais fascinante qui s’en dégage.
Frantz Loriot : alto, composition
Manuel Perovic : composition, arrangement
Joachim Badenhorst : clarinette, clarinette basse, saxophone ténor
Sandra Weiss : saxophone alto, basson
Matthias Spillmann : trompette, bugle
Silvio Cadotsch : trombone
Deborah Walker : violoncelle, voix
Dave Gisler : guitare
Silvan Jeger : contrebasse, voix
Yuko Oshima : batterie
Manuel Perovic : composition, arrangement
Joachim Badenhorst : clarinette, clarinette basse, saxophone ténor
Sandra Weiss : saxophone alto, basson
Matthias Spillmann : trompette, bugle
Silvio Cadotsch : trombone
Deborah Walker : violoncelle, voix
Dave Gisler : guitare
Silvan Jeger : contrebasse, voix
Yuko Oshima : batterie
La musique proposée par le Notebook Large Ensemble est quant à
elle beaucoup plus figurative, et cette petite merveille qu’est Urban Furrow
sera prompte à ravir un plus grand nombre de paires d’oreilles. Pour exigeant
qu’il soit, le répertoire composé par Frantz Loriot et Manuel Perovic à partir
d’idées déposées au fil du temps sur un carnet que l’altiste conservait sur lui
(pour ne pas laisser filer les idées fugaces) est gorgé d’instants de grâce, de
rythmes tour à tour moelleux où accidentés, de textures travaillées, de
phrases, de mélodies et d’échanges, d’effets de masse et de pépiements. Cet
ensemble foisonnant est composé de musiciens qui, tous, contribuent à faire
vivre ces morceaux, que les arrangements subtils de Perovic ouvrent aussi bien
au travail collectif qu’aux développements individuels. C’est patent dès l’ouverture
du disque, lorsque les sons épars et abstraits de l’orchestre coagulent autour
de l’alto pour finalement donner vie à une pièce limpide et lumineuse, où l’ensemble
des discours libres s’organisent naturellement pour suivre la ligne mélodique.
Tout ici n’est que jeux d’ambiances et de tensions, et l’on
passe sans heurts de parties puissantes en épisodes discrets, les musiciens s’organisant
en ensemble, en sections où demeurant seuls maîtres de leur propre discours. D’où
cette sensation de mouvement qui se réfléchit dans notre écoute, toujours
attirée par des détails (phrases, couleurs) éparpillés sur tout le champ
auditif. Beaucoup d’éléments sont développés en simultanés mais il n’y a pas de
collision, les informations restent lisibles malgré leur abondance. Et puis,
chose importante, la liberté au sein de l’orchestre passe parfois par un
désordre apparent (mais nous ne sommes pas dupes, il s’agit au contraire d’agencements
pointus), mais il n’y a ici aucune velléité destructive. Bien au contraire, les
thèmes sont cajolés par l’orchestre, qui peut, en marge de ses parties
explosives et de ses digressions, mettre en place des atmosphères fragiles et
poétiques, comme sur la délicate chanson « To Hr ».
Les cordes, les bois, les cuivres, les percussions et, ponctuellement,
les voix, offrent une palette de timbres aux nuances infinies, ici utilisée
avec autant de goût que d’audace. Les six morceaux sont autant de petites
histoires superbement scénarisées et interprétées. On se prend à vouloir
évoquer chaque membre du groupe, car d’eux tous émanent magie et émotion… Le
plus simple serait peut-être de vous laisser seuls juges. Ce disque est paru
chez Clean Feed Records, il est absolument magnifique, et il ne tiendra qu’à
vous de suivre ensuite les belles pistes à exploiter que représentent tous les
noms des musiciens qui y ont contribué. C’est ce que nous faisons tous, non ?
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