02 juin 2016

Claude Tchamitchian Sextet - Traces







Géraldine Keller : voix
Daniel Erdmann : saxophones ténor et soprano
François Corneloup : saxophones baryton et soprano
Philippe Deschepper : guitare
Claude Tchamitchian : contrebasse, composition
Christophe Marguet : batterie



Le chant de la contrebasse de Claude Tchamitchian n’est jamais dépourvu de tristesse. C’est cette noirceur profonde, enfouie parfois, que délivrent ses traits d’archet d’une troublante beauté. Par extension, sa musique arbore des teintes chaudes et sombres, véhicule une intense sensibilité y compris quand son énergie n’est pas retenue. Un mélange de force et de fragilité qui donne à Traces, une évocation musicale du génocide Arménien, la puissance dramatique que le sujet requiert. Pour autant, les compositions ne se contentent pas d’illustrer de quelque manière que ce soit l’atrocité des événements centenaires. Elles soulignent également, par un lyrisme certes tendu mais toujours empreint de cette lumière que révèlent l’espoir et la foi, le feu qui anime le peuple persécuté, son impétuosité. Soit une fresque musicale magnifique et touchante durant laquelle l’extermination programmée d’un peuple entier est relatée selon des points de vue différents, le verbe tenant dans ces choix narratifs une place prépondérante. 

Les Traces auxquelles l’album font référence peuvent aussi bien être celle d’un tel évènement sur l’histoire, que celles que la musique arménienne a laissées dans le jeu du contrebassiste, ou encore celles, marquées au sol, du peuple en exode. Sur ce dernier aspect, les textes de Krikor Beledian (issus de l’ouvrage Seuils) retenus pour être récités/interprétés/chantés par Géraldine Keller servent idéalement le propos, petites tranches de (sur)vie bouleversantes où l’on perçoit les rapports paradoxaux du pas décidé et des pieds souffrant, de la droiture et des épaules courbées, de la volonté farouche et de la désillusion, de la clairvoyance et de l’incompréhension. La chanteuse, qui habite ces textes difficiles, est magnifique. Tout comme la musique qui en est à la fois le support et la continuité.

Sur des compositions superbes du contrebassiste, le sextet se déploie, majestueux. Daniel Erdmann et François Corneloup y imposent leur complémentarité, en termes de son, de placement ou de construction de leurs interventions. A l’occasion leurs saxophones soprano se retrouvent à voleter tout contre le chant de Géraldine Keller, dans une passe à trois aux lignes mélodiques labyrinthiques. Tous deux, à leur manière participent à l’équilibre du groupe comme à son envergure expressive. Philippe Deschepper nourrit de sa guitare si identifiable l’harmonie, et apporte une dimension supplémentaire à la superposition de strates, pour souligner parcimonieusement mais de façon décisive la solennité de la musique ou l’asthénie du peuple. Christophe Marguet et Claude Tchamitchian, dont la capacité à construire ensemble un socle rythmique très ouvert et mouvant a déjà fait ses preuves, entretiennent un effort pulsatile qu’ils lient à une conversation engagée avec le reste du groupe, faisant émerger du cœur du sextet une force intangible et une poésie palpable. La voix est à la fois dedans et dehors. Au milieu du reste, mais au-dessus aussi. Mots et notes tournoient, s’alternent et se mêlent. La complexité des pièces, comme une dramatique marche forcée semée d’embuches, de doutes et de petites victoires, n’efface aucunement la simplicité de ce qui pousse le fuyant à rechercher un ailleurs. L’amour de la vie. Lui ne se traque pas.

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