Ricardo Izquierdo : saxophone tenor
Mauro Gargano : contrebasse
Fabrice Moreau : batterie
La constitution de ce trio n’est pas une surprise pour qui
suit les pérégrinations de ces trois magnifiques musiciens, qui n’ont eu de
cesse depuis plusieurs années de se croiser ou s’inviter mutuellement. Mauro
Gargano et Fabrice Moreau forment une section rythmique que l’on a souvent eu
l’occasion d’écouter, toujours avec plaisir, que ce soit aux côtés de Bruno
Angelini (So Now ?), au sein du groupe Mo Avast du contrebassiste, ou
encore avec Alexis Avakian. Le contrebassiste a souvent invité Ricardo
Izquierdo dans ses projets (Suite For Battling Siki, Saxophone Tenor Summit…) et le
saxophoniste lui a rendu la pareille. Récemment enfin, on a pu entendre le
tenor souffler dans plusieurs formations présentées par Fabrice Moreau au
Comptoir de Fontenay. Autant dire que ANTS est une formation qui semble couler
de source.
On s’attend de fait à un jeu sûr, marqué par la confiance,
les habitudes et la connaissance réciproque. ANTS propose en réalité mieux que
cela. Pas ici de démonstration de force, pas de certitudes, pas réellement de
zone de confort. Le trio tire parti de ses heures de vol pour proposer une
musique suspendue, toujours maintenue dans un équilibre précaire par les trois
musiciens qui invitent le silence à leur table, et avancent comme
l’équilibriste sur un fil tendu à belle hauteur. C’est donc la fragilité qui
interpelle en premier lieu. Cette volonté d’éviter le recours au jeu dense pour
au contraire l’ajourer et ainsi privilégier les réelles possibilités de dialogue
entre les instruments. Dommage que le terme de triangle équilatéral soit
galvaudé, je l’aurais volontiers utilisé ici tant chacune des trois parties semble avoir une
égale importance dans la solidité du propos, justement basé sur
l’interdépendance des trois voix. Et quelles voix ! toutes trois personnelles,
maîtrisées et complexes, avec des phrases magnifiques qui se tressent et se
soulignent… Le travail collectif, tout en écoute, retenue et initiatives
audacieuses, interpelle par sa dimension graphique, comme des formes irrégulières
trouvant un équilibre inattendu par leur imbrication.
Fabrice Moreau phrase avec ses futs et cymbales, incorpore
beaucoup de respirations à son jeu décidément atypique. Il esquisse, en
adoptant tour à tour des postures de batteur ou de percussionniste, une
rythmique évanescente à laquelle les commentaires et lignes discontinues de
Mauro Gargano donnent du corps. Le contrebassiste est sans cesse dans
l’invention et déploie son jeu puissant avec finesse et autorité. Ricardo
Izquierdo fait siens ces mouvements constants, s’y fond avec ses notes chaudes
qui s’amoncèlent parfois en envolées éclatantes. Peut-être est-ce sur ce disque
que se dévoile de manière la plus édifiante le fait qu’il a aujourd’hui, sur
son instrument, un son et une articulation singuliers.
Les trois musiciens se partagent, à l’exception d’une
relecture de Louis-Noël Belaubre, la paternité du répertoire, constitué de très
belles compositions propices à la construction ou déconstruction de ce trilogue
qui, s’il ne manque pas d’énergie (on la sent affleurer, elle éclate brièvement
dans une partie réjouissante de « Valentia »), se fait un devoir de
la contenir, comme pour la rendre plus précieuse.
Le trio se produira le 15 juin au Sunside. Une croix à
mettre sur le calendrier, car nul doute que le concert sera, à l’image de cet
album, un ravissement.
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