09 mai 2017

Ricardo Izquierdo, Mauro Gargano et Fabrice Moreau – ANTS



Ricardo Izquierdo : saxophone tenor
Mauro Gargano : contrebasse
Fabrice Moreau : batterie


La constitution de ce trio n’est pas une surprise pour qui suit les pérégrinations de ces trois magnifiques musiciens, qui n’ont eu de cesse depuis plusieurs années de se croiser ou s’inviter mutuellement. Mauro Gargano et Fabrice Moreau forment une section rythmique que l’on a souvent eu l’occasion d’écouter, toujours avec plaisir, que ce soit aux côtés de Bruno Angelini (So Now ?), au sein du groupe Mo Avast du contrebassiste, ou encore avec Alexis Avakian. Le contrebassiste a souvent invité Ricardo Izquierdo dans ses projets (Suite For Battling Siki, Saxophone Tenor Summit…) et le saxophoniste lui a rendu la pareille. Récemment enfin, on a pu entendre le tenor souffler dans plusieurs formations présentées par Fabrice Moreau au Comptoir de Fontenay. Autant dire que ANTS est une formation qui semble couler de source.

On s’attend de fait à un jeu sûr, marqué par la confiance, les habitudes et la connaissance réciproque. ANTS propose en réalité mieux que cela. Pas ici de démonstration de force, pas de certitudes, pas réellement de zone de confort. Le trio tire parti de ses heures de vol pour proposer une musique suspendue, toujours maintenue dans un équilibre précaire par les trois musiciens qui invitent le silence à leur table, et avancent comme l’équilibriste sur un fil tendu à belle hauteur. C’est donc la fragilité qui interpelle en premier lieu. Cette volonté d’éviter le recours au jeu dense pour au contraire l’ajourer et ainsi privilégier les réelles possibilités de dialogue entre les instruments. Dommage que le terme de triangle équilatéral soit galvaudé, je l’aurais volontiers utilisé ici tant  chacune des trois parties semble avoir une égale importance dans la solidité du propos, justement basé sur l’interdépendance des trois voix. Et quelles voix ! toutes trois personnelles, maîtrisées et complexes, avec des phrases magnifiques qui se tressent et se soulignent… Le travail collectif, tout en écoute, retenue et initiatives audacieuses, interpelle par sa dimension graphique, comme des formes irrégulières trouvant un équilibre inattendu par leur imbrication.

Fabrice Moreau phrase avec ses futs et cymbales, incorpore beaucoup de respirations à son jeu décidément atypique. Il esquisse, en adoptant tour à tour des postures de batteur ou de percussionniste, une rythmique évanescente à laquelle les commentaires et lignes discontinues de Mauro Gargano donnent du corps. Le contrebassiste est sans cesse dans l’invention et déploie son jeu puissant avec finesse et autorité. Ricardo Izquierdo fait siens ces mouvements constants, s’y fond avec ses notes chaudes qui s’amoncèlent parfois en envolées éclatantes. Peut-être est-ce sur ce disque que se dévoile de manière la plus édifiante le fait qu’il a aujourd’hui, sur son instrument, un son et une articulation singuliers.

Les trois musiciens se partagent, à l’exception d’une relecture de Louis-Noël Belaubre, la paternité du répertoire, constitué de très belles compositions propices à la construction ou déconstruction de ce trilogue qui, s’il ne manque pas d’énergie (on la sent affleurer, elle éclate brièvement dans une partie réjouissante de « Valentia »), se fait un devoir de la contenir, comme pour la rendre plus précieuse.

Le trio se produira le 15 juin au Sunside. Une croix à mettre sur le calendrier, car nul doute que le concert sera, à l’image de cet album, un ravissement.


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