Pierre Durand : Guitare, voix sur « Jesus Just
Left Chicago »
+ sur le titre «Au bord »
John Boute : Voix
Nicholas Payton : Voix
Cornell Williams : Voix
Aller écouter de la musique in situ, c’est toujours
l’occasion de passer un super moment avec des artistes que l’on aime. Et c’est
aussi souvent l’occasion de rencontrer des artistes que l’on ne connaît pas. Il
y a quelques mois, à l’occasion d’une carte blanche proposée à Sébastien Texier
par L’Improviste, la péniche accueillait dans sa belle cale un trio composé de
Sébastien Texier, Christophe Marguet et… Pierre Durand. L’occasion pour mois
d’allier les deux plaisirs sus-cités. Je garde un souvenir cuisant de ces deux
sets au cours desquels les trois musiciens, qui se découvraient eux-même un
peu, se sont tout de suite trouvés, délivrant au passage une prestation
exaltante. A défaut d’écouter pour la première fois Pierre Durand (qui officie
par ailleurs dans des formations qui me sont familières, comme l’Xtet de Bruno
Régnier, le trio +2 de
David Patrois …), j’étais ce soir là confronté pour la
première fois à son univers personnel, auquel le batteur et le saxophoniste
laissèrent une large place, notamment à travers certaines de ses compositions
(« Noces de menthe »). Révélation. Je (re)découvrais un musicien chez
qui tout est musique, un guitariste subtil et efficace capable de concilier
avec un étonnant mélange de hargne et de tendresse ses parties d’accompagnement
et ses effusions solistes. Je nourrissais dès lors une curiosité et un attrait
croissants pour son disque solo à venir. Le voici venu.
Chapter One, NOLAImprovisations est un disque à part, une de ces galettes qui nous font
rebondir de surprises en étonnements, notre écoute sans cesse happée par les
histoires que l’on traverse au gré des huit morceaux qui composent cet album. Sur
chacun d’entre eux, il y a un son, une ambiance, un propos. Et si l’ensemble
est marqué par la personnalité du guitariste (donc cohérent puisque sincère),
chaque morceau bénéficie d’un traitement différent. Guitare solitaire ou
démultipliée, sons acoustiques et électriques, voix et effets de percussions…
La variété de techniques est là, au service d’un langage sophistiqué mais
parlant. La musique de Pierre
Durand n’est jamais inaccessible ou délibérément déstructurée, mais sa façon
d’amener les choses, de cheminer dans l’épure comme dans l’amoncellement me
semble inédite, ou pour le moins d’une grande fraîcheur.
Quel bel hommage que ce morceau d’introduction, sobrement
intitulé « Coltrane », au cours duquel la guitare acoustique, seule,
en flottement, renvoie au saxophoniste plus par sa dimension spirituelle que
par son vocabulaire… Et quel contraste avec la façon – beaucoup plus explicite
- dont John Scofield est évoqué, un peu plus loin dans l’album, au cours d’un
long titre qui démarre par une série de courtes séquences musicales en forme de
diaporama rappelant à notre bon souvenir certains traits du guitariste
Américain et se poursuivant par une longue partie durant laquelle Pierre Durand
enregistre des boucles qui se superposent autours d’un motif de base bien funky
pour l’enrichir d’éléments percussifs (cordes sèchement grattées à vide) ou
mélodiques, apportant quelques éléments de réponses à la question posée par le
titre (« Who The Damn Is John Scofield ? »). Sur cet
enchevêtrement de cordes, sa guitare dépose de belles phrases, à mi-chemin
entre le bleu nuit et le pourpre, entre les racines et le groove. Les boucles,
en sur-impression, s’accumulent jusqu’à ce que l’on ne les distingue plus
vraiment. Reste un magma qui, durant quelques secondes, devient lui-même
l’instrument utilisé… avant de s’évaporer pour laisser place à une des
séquences d’introduction, la plus douce. La juxtaposition de motifs
mélodico-rythmique est également, sur « Emigré », la source d’un
rendu dense et sinueux. En glissant entre ses cordes un ticket de Metro, puis
en jouant des motifs rythmiques évoquant les musiques transcendantales
d’Afrique de l’ouest, le guitariste tisse une toile de fond obsédante qu’il
orne de jolies envolées lyriques, tout comme il s’appuie, le temps d’un
singulier « Au bord », sur l’inattendue chorale locale composée de John Boute, Nicholas Payton
et Cornell Williams. Un peu plus loin, sur « In Man We Trust
(Almost) », ce procédé d’échantillonnage est utilisé, pudiquement, pour
créer une profondeur de champ mettant en valeur les lignes mélodiques et
épurées qui se détachent sur un arrière plan flouté.
Drôle d’aventure que cette escapade à la Nouvelle Orléans ,
destination choisie par un musicien ayant la volonté d’aller, la fleur au
fusil, faire naître sa musique là d’où viennent celles qui le touchent. On le
voit, sur les belles images du disque, sortir du bayou, sa guitare dans une
main et l’autre prête à être tendue. Ce voyage aura été inspirant, visiblement.
Pierre Durand en revient avec dans son étui à guitare les rêveries déjà
évoquées, mais également un titre simple et touchant (« MB (les
amants) ») durant lequel son amour pour la musique s’exprime avec pudeur,
ainsi que deux interprétations de morceaux ayant auparavant eu d’autres
vies : « When I Grow Too Old To Dream », dont je me souviendrai
même si je vieilli trop, et « Jesus Just Left Chicago », morceau des
ZZ Top dont Pierre Durand délivre ici une version à l’image de son
disque : belle, organique et aérée.
Les belles rencontres musicales se font souvent durant les
concerts. Et puis après, on retourne dans les clubs pour y voir jouer les
artistes qui nous touchent. A très bientôt, alors, Monsieur Durand.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire