Régis Huby : Violon, violon électrique
Rémi Charmasson : Guitare
Claude Tchamitchian : Contrebasse
Christophe Marguet : Batterie
Je ne connais pas encore l’Arménie. Je la vois, pareille au
Népal, digne et puissante sous son austérité pierreuse. J’imagine les grands
espaces, les impressionnants volumes d’air qui écrasent ses plateaux et
entourent ses montagnes. Je ressens presque la force de cette terre d’altitude
toute belle car toute simple. Ceux qui la fréquentent ou l’ont rencontré
doivent hurler au cliché. N’empêche, moi, l’Arménie, je ne fais pour l’instant
que la rêver, même si j’aimerais faire partie de ceux qui peuvent l’évoquer
pour avoir croisé son chemin. Un de ces quatre, y’a pas de raison.
Claude Tchamitchian, lui, est d’origine Arménienne. Je ne
sais pas dans quelle mesure il connaît ce pays, mais je sais à quel point il
est un remarquable musicien. Ca je peux en parler, et tant mieux, car je ne
l’ai pas suffisamment fait ici. Tchamitchian, c’est le contrebassiste tous
terrains qui fait chanter son instrument dans les contextes les plus épurés
comme dans les masses sonores encombrées. C’est le pilier d’un impressionnant
nombre de formations qui me donnent les clés des chants. C’est le bassiste qui
passe sans accroc de la grosse ligne vitale au feulement, de la plénitude lisse
aux accents écorchés, de la mélodie aux à-côtés in-entendus. C’est le compositeur qui prend son temps pour
organiser les notes, ou l’improvisateur qui laisse ses notes apprivoiser son
temps. C’est le musicien qui joue tant
qu’il peut multiplier les rencontres tout en continuant à réunir autours de lui
des musiciens avec lesquels il arrive à allier l’exigence et l’excellence.
Ways Out est à la fois le nom de son quartet et du disque
qu’ils viennent de sortir sur le label Abalone de Régis Huby. Et dans ce
disque, on retrouve toutes ces qualités musicales mises au service d’un voyage
qui pourrait bien être l’équivalent sonore d’une promenade sur les arpents
Caucasiens. La musique de Ways Out à cette faculté de récompenser par un
paysage grandiose le randonneur à chacun de ses pas. Elle brouille la
délimitation entre la terre et le ciel, si bien que l’on ne sait plus trop si
l’on marche ou si l’on vole. La rythmique en forme de marche que tient
Christophe Marguet sur une grande partie d’ « Etchmiadzine » renvoie
à cette sensation d’ancrage dans le sol tandis que les archets mêlés de Claude Tchamitchian et de
Régis Huby évoquent quelque chose qui serait à mi chemin entre le vent et la foi. La majorité des
compositions sont articulées en mouvements et les ruptures rythmiques, les
variations d’énergies trouvent un écho dans l’impressionnante palette du
quartet. Les quatre musiciens déploient en effet un jeu chargé de nuances, en
termes de timbre, de matière et d’intensité. La contrebasse, comme je l’évoquais
plus haut, passe sans se départir de sa richesse mélodique entre parties
solistes et support rythmique. Granuleuse et chargée d’émotion à l’archet,
ronde et puissante jouée en pizzicato, elle semble naviguer dans cette musique
pour prêter main forte à chacun des musiciens, appuyant ici l’aspect pulsatile,
là la force narrative. Régis Huby alterne lui aussi ses modes de jeu. Sa
magnifique sonorité à l’archet sert de longues et belles phrases qui donnent du corps à la musique, mais il la
ponctue aussi de parties sautillantes jouées « aux doigts ». Dans l’énergique
et captivant « Ile de verre », il branche son violon et délivre un
solo volcanique et passionnant. Comme un élément parallèle, la guitare de Rémi
Charmasson strie certains morceaux d’éclairs électriques (jouissive
intervention soliste sur le titre « Ways Out »), mais confie la
plupart du temps à sa guitare des missions coloristes. Christophe Marguet est,
au milieu de cet océan de voix mêlées, un phare rassurant. Si lui aussi met à
de nombreuses reprises ses talents de conteur au service des compositions,
notamment à travers de savoureux instants atmosphériques (« Poésie mobile »,
« La beauté des sages »), il se porte garant d’un rythme appuyé autours
duquel les chants gravitent, se rencontrant entre eux pour d’inattendus reliefs
harmoniques.
Ways Out est un disque habité, puissant et poétique. Dès son
titre d’ouverture, il nous projette dans un univers unique dont l’onirisme est
mis en exergue par la souplesse de l’interaction et les traitements sonores,
avec un recours pertinents aux effets électroniques qui n’éloignent jamais l’ensemble
de sa dimension organique. Et l’Arménie là-dedans ? Et bien je ne sais
plus trop, finalement. Il y a ce titre hallucinant, « Etchmiadzine »,
bien sûr. Et pour le reste, cela tiens
probablement plus de l’adéquation de ce que m’évoque le pays et de ce que me
raconte cette musique forte et fragile, surprenante et rassurante. Je continue
de rêver mes propres voyages, et me joins volontiers à ceux auxquels on m’invite.
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