Olivier Benoît : guitare, composition et direction
artistique
Jean Dousteyssier : clarinettes
Hugues Mayot : saxophone alto
Alexandra Grimal : saxophones tenor et soprano
Fabrice Martinez : trompette et bugle
Fidel Fourneyron : trombone et tuba
Théo Ceccaldi : violon et alto
Paul Brousseau : claviers
Sophie Agnel : piano
Bruno Chevillon : basse, contrebasse et conseil artistique
Eric Echampard : batterie
Hugues Mayot : saxophone alto
Alexandra Grimal : saxophones tenor et soprano
Fabrice Martinez : trompette et bugle
Fidel Fourneyron : trombone et tuba
Théo Ceccaldi : violon et alto
Paul Brousseau : claviers
Sophie Agnel : piano
Bruno Chevillon : basse, contrebasse et conseil artistique
Eric Echampard : batterie
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Chapitre 1 – Paris
Où il sera question
de jeux vidéo, de livraison de pizza et de football.
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Voici donc la première excursion urbaine de notre nouvel
Orchestre National de Jazz, avec Olivier Benoît aux commandes. Première sortie
d’un circuit qui comprendra plusieurs escales dans des grandes villes
européennes.
Paris est le théâtre d’un véritable péplum musical composé
par le guitariste, qui a fait le choix de faire partie de l’orchestre,
contrairement à son prédécesseur. Si l’ONJ doit être le porte-flambeau du jazz
français et le porter aux yeux du Monde, alors on peut aiguiser nos airs
satisfaits et se frotter nonchalamment les ongles sur le revers de notre veste.
Car ce disque est un tour de force, une vraie démonstration de puissance,
imaginée et réalisée par un musicien/directeur artistique qui a su, pour aller
au bout de ses idées, s’entourer d’une équipe formidable de musiciens, tous
interprètes et improvisateurs remarquables. Pour donner vie à cette œuvre, il
fallait conjuguer ces deux talents, car les compositions, exigeantes, ne
souffrent pas les unissons approximatifs chers à Ornette Coleman et tant
d’autres, qui peuvent ailleurs donner du charme et du relief à la lecture d’un
thème, mais sont inadaptées à la mise en place pointue d’une multitude de
motifs à forte teneur harmonique qui comme ici s’emboîtent et se superposent.
Justesse et rigueur dans le placement sont donc de mise, et on ne peut que
saluer la précision d’exécution de l’orchestre, sur chacun de ces plans.
Paris est un
programme composé de 6 parties dont trois suites, soit une heure trente de
musique répartie sur deux disques. Oui, c’est beaucoup. Mais quand bien même on
est, et c’est mon cas, plus friand de formats resserrés, l’écoute de cette
fresque dantesque n’est jamais une épreuve. On y revient au contraire, plus que
de raison peut-être, pour percer à jour tous les tours de passe-passe de ces
magiciens, et plonger à chaque fois un peu plus loin dans la profondeur, qui
reste insondable après des écoutes répétées, de ces pièces audacieuses ou se
télescopent musique répétitive, syntaxe jazz et rock bien lourd dans un mélange
savant et survitaminé, propulsé par la rythmique énorme tenue par Bruno
Chevillon (par ailleurs conseiller artistique d’Olivier Benoît) et Eric
Echampard.
La taille relativement conséquente du groupe permet de
travailler à la fois les formes et les couleurs. Pour ce qui est des formes,
Olivier Benoît les encastres comme des briques de Tetris. Mais les blocs tombent
vite, il faut les tourner, trouver le bon angle et la bonne position. A ce
petit jeu, le guitariste excelle, jusqu’à faire décoller la fusée à échéances
régulières. Car il y a souvent, au terme de séquences durant lesquels de
solides échafaudages contrapuntiques sont patiemment montés, une explosion
d’énergie pouvant être de l’ordre du chahut d’improvisation ou du riff heavy.
Dans un cas on dodeline de la tête et se perd dans les méandres d’un jeu
collectif opulent. Dans l’autre, on balance la tête d’avant en arrière en
suivant cette voie balisée, ce boulevard où l’on circule vite, en ligne droite.
Ainsi en va-t-il de la ville. Elle est faite de ruelles sinueuses fréquentées
comme d’artères sur lesquels les véhicules ont autorité, de grands espaces verts
arpentés par les flâneurs et de places exigües où les maraîchers installent
leurs stands devant des murs tagués. Il y a des passages dissimulés derrière
des portes cochères, des sens interdits. Des chantiers incessants et des
monuments grandioses. On s’y perd, toujours un peu, mais jamais beaucoup.
Pareil pour ce disque, vaste territoire d’errance. Heureux l’auditeur qui prend
le temps de le cartographier, pour choisir ou il souhaite se rendre.
Les solistes investissent cette cité de sons chacun à leur
manière. Ils y vaquent, s’insinuent dans les flux de circulation aux rythmes
effrénés, érigent de nouveaux monuments. Leurs interventions adoptent parfois
la démarche du promeneur, qui se plaît à laisser son itinéraire se dessiner au
fil de l’eau. Ils sont nonchalants ou pressés, selon l’endroit ou leurs pas les
mènent, mais ne restent jamais coincés à un angle de rue. Les inflexions du
discours musical fait écho aux directions empruntées, qui font inévitablement
déboucher le marcheur sur des espaces aux richesses insoupçonnées. Parfois, c’est
le volume qui est travaillé au détriment de cette linéarité mouvante, et ce
sont de véritables sculptures qui voient alors le jour. Chacun a ses moments
privilégiés, et c’est aussi à travers ces visions intimes de l’expression
soliste que chaque pièce, ou chaque mouvement, trouve une couleur qui lui est
propre.
Alexandra Grimal joue des coudes avec la rythmique dans l'énergique
quatrième partie de "Paris II", Jean Dousteyssier parsème la dernière
partie de "Paris II" de quelques fragments mélodiques bruitistes,
Sophie Agnel propose tour à tour deux utilisations personnelles du piano en
l'envisageant comme une fabrique à son - piano préparé sur "Paris
III"- ou une percussion géante, Fabrice Martinez laisse s'exprimer ses
pensées romantiques dans un chorus délicat, Théo Ceccaldi louvoie dans un jeu
collectif tendu ("Paris I") ou converse avec la contrebasse de Bruno
Chevillon dans un dialogue poétique et sensible, Hugues Mayot se faufile entre
les mailles musicales de "Paris II part 6 » comme un livreur de pizza
dans les rues embouteillées, Paul Brousseau s'éprend d'architecture urbaine
dans un solo où la matière sonore et l'angularité du propos génèrent de
nombreuses dimensions de lecture, Fidel Fourneyron entrelace son phrasé vif aux
éclairs de la guitare de Benoît.
Il y a aussi, matière refusant d’être facilement saisie,
tout le travail « d’entre-deux ». Entre l’écriture et les solos,
entre les différentes sections et la rythmique, entre l’énergie brute et les
plages éthérées, entre les nombreuses strates et leur fonctionnements propres
qui s’articulent entre eux, il y a cette somme de détails, d’intentions, que
l’on doit au talent de chacun ou au hasard peut-être, qui donnent du liant, de
la cohérence, de la grandeur.
Non, vraiment, il faut écouter ce disque. Parce qu’il est
beau, parce qu’il est unique, et aussi parce qu’il nous rappelle qu’en France,
une équipe de onze peut éblouir 90 minutes durant. Ah ah ah ! Elle est là,
notre fierté nationale ! Bravo et rendez-vous à Berlin, alors !!
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