Théo
Ceccaldi : violon, alto
Roberto Negro : piano, objets
Roberto Negro : piano, objets
Qui a eu le plaisir de voir Théo Ceccaldi et Roberto Negro s’adonner
en live à l’improvisation totale sait combien ils parviennent à plonger très
profondément dans l’interaction. Le temps passé ensemble a joué pour eux, et
ils sont aujourd’hui détenteurs d’un véritable trésor, la capacité à faire
disparaître les phases d’approche et « approximations » durant
lesquelles les improvisateurs tâtonnent à la recherche d’un terrain commun
propice au développement d’une intention partagée. Ils se connaissent si bien,
et ont une telle acuité dans l’improvisation que tout ce qu’ils jouent semble
composé, travaillé. Les formes des morceaux excluent la linéarité au profit d’un
dialogue plein de reliefs où les changements d’intensité et les mouvements
harmoniques adviennent naturellement.
La totalité de la matière de ce disque est issue de l’enregistrement
de deux concerts donnés au Triton en juillet 2015, et dont on peut voir un set
complet sur le site du club.
Outre qu’il met en valeur les deux musiciens tant dans la
plastique de leur jeu que dans la luxuriance de leurs idées, ce magnifique
enregistrement, nécessairement une photographie d’un phénomène éphémère, donne
à entendre de somptueux échanges, clairs et engagés, mais aussi étonnamment
figuratifs, sensuels, sensibles. « Biberon » est par exemple un
moment plein d’émotion. Les influences transpirent çà et là. Mais aussi
diverses soient-elles, elles participent d’une esthétique dont les deux
musiciens sont dépositaires, et avec eux le Tricollectif tout entier, qui dans
son ensemble synthétise et cristallise un grand nombre de vocabulaires pour
créer son propre langage, qui se démultiplie à l’envi au fil des groupes qui se
montent et des répertoires qui se créent. Cet aparté n’est pas anodin, car ce
duo est un des nombreux membres de la structure tentaculaire qu’est le
collectif. Les projets et rencontres s’enchainent, se multiplient, parfois
durables, parfois transitoires. C’est probablement cette dynamique d’incessante
remise en question qui permet à cette famille de musiciens de savoir comme
personne s’engouffrer instantanément dans la moindre brèche ouverte par l’autre.
Une prise de risque qui débouche sur de surprenants élans simultanés, comme par
exemple les virages pris durant les plongées dramatiques sur « Hoquet »,
ou sur de longues mises en tension comme celle qui sous-tend le titre « Ninin ».
Ici se joue, toujours avec ce mélange étonnant de rigueur et
de folie, une conversation marquée par l’évidence. Comment être plus en phase
que le violon et le piano sur le palpitant « Couffin » ? Il est
étonnant de voir et d’entendre ce processus de création, et l’apparente
décontraction avec laquelle il est mis en œuvre. Quelques fourchettes placées
entre les cordes du piano et mises en balancement et hop, c’est tout une
histoire qui démarre, avec des épisodes, des rebondissements, petit balai de
gestes minimaux disposés avec goût (« Bavoir »). Les babies,
seraient-ils de petits êtres dénués de doute ? Sûrement. Ils prennent ce
qu’ils ont sous la main, ce qui vient, utilisent ça comme ça leur chante. Ils
saisissent, secouent, jettent et mâchouillent. Leurs passions musicales sont
leurs jouets, et ces compositions instantanées sont les histoires qu’ils s’inventent,
sans se poser de question. Ils s’éclatent et nous avec. Car au-delà de l’intérêt
que peut (doit ?) susciter la qualité de la performance, c’est avant tout
la beauté du résultat qu’il convient de mettre en exergue. Jusqu’à la dernière
plage apaisée, notre attention est tenue en éveil et notre plaisir total.
Gageons que nos chérubins ne s’entichent pas de pareil vocabulaire, mais puisqu’on
est entre grandes personnes on peut se le dire : ça froisse, bordel !
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