Gabriel Lemaire : Saxophone alto, clarinette alto
Quentin Biardeau : Saxophone Ténor, saxophone soprano
Valentin
Ceccaldi : Violoncelle
Adrien
Chennebault : Batterie
J’ai décidé que je ne m’habituerai jamais aux sourdes
sonorités de la ville. Les
ronrons incessants des voitures, des trains et des métros, les travaux qui
embellissent la cité mais agressent nos oreilles, les clims, les frigos et les
fours, les avions, les conversations des gens qui s’agglutinent jusqu’à former
une pâte sonore, un bruit blanc, ne m’inspirent pas beaucoup. Alors, de chez
moi à où je bosse, puis l’inverse, je tourne le dos aux calamités quotidiennes
et me réfugie dans l’écoute de disques. Certains me rappellent trop ce que je
cherche à fuir. Ceux là je n’en parle pas. Et puis il y en a qui m’emportent.
Ceux là j’essaie d’en parler, mais surtout je trouve du temps pour ajouter à
mes écoutes en mouvement des instants qui me permettent de m’y consacrer tout
entier, de plonger en leur cœur pour en saisir toutes les nuances. C’est un
exercice chronophage mais je n’envisage pas de me priver de ce délice. Peut-être
d’ailleurs ne devrais-je écouter la musique que comme ça… Nus, le présent disque de Walabix, m’a emporté. Il a transformé quelques fastidieux allers et
retours en parenthèses chaleureuses. Et lorsque je lui ai consacré (enfin) le
temps qu’il mérite, je m’y suis immergé pour n’en ressortir qu’après la
dernière « Valse », alors que sur un silence noir dansaient encore
les notes douces-amères dont j’avais durant une petite heure été bercé.
La musique proposée par les quatre jeunes musiciens
Orléanais est fascinante. Elle est le fruit, visiblement, d’une réflexion
collective, et si chacun y imprime sa propre personnalité, c’est le son
d’ensemble, cristallin, alcalin, aéré, qui s’en voit embelli. De fait, la
formation ne sonne comme aucune autre, d’une part en raison du registre global
(les médiums sont privilégiés), mais surtout parce qu’un effort considérable a
été fourni en terme de mise en place. Les instruments, alors même que
l’esthétique clairement concertante situe le groupe dans le vaste champ des
musiques ayant des affinités avec l’improvisation, ne cessent de croiser leurs
lignes, témoignant ainsi d’un pointilleux travail d’écriture et de mise en
forme. Tout au long du disque, les deux saxophonistes inscrivent tout en
légèreté leur jeu dans la continuité de ce que dit l’autre, et si leurs soli
rivalisent de beauté et d’inventivité (en attestent, entre autres exemples, la
façon qu’a Gabriel Lemaire de s’échapper d’un riff pour donner un chorus aérien
et rêveur à la clarinette alto sur « Sage comme un mirage », ou le
lyrisme délicat de Quentin
Biardeau au soprano sur « Un os dans le bas du cou »), on reste avant
tout ébloui par leur faculté à se trouver, à donner du sens à un double
discours basé sur la réciprocité et non sur l’opposition. Tous deux s’expriment
avec sensibilité, et partagent le souci du beau son, ce qui transparaît dans
leur maîtrise du souffle et les nuances qu’elle implique, tout comme dans le
bon goût qui caractérise leurs alliances de timbres. Le violoncelle de Valentin
Ceccaldi n’en finit pas d’aller et venir entre sa fonction rythmiques et ses
apports mélodiques, ce qui l’amène parfois à côtoyer de près, voir à épouser
les lignes de saxophone ou les frappes du batteur, mais aussi à s’aventurer
dans toutes les zones libres pour y laisser s’épanouir le profond lyrisme dont
il est empreint. Adrien Chennebault s’attache quand à lui à apporter une
pulsation, bien sûr, mais également à ponctuer, soutenir et mettre en valeur
les discours des trois autres, voire à diluer ses touches dans une approche
bruitiste qui constitue elle-même un rythme flottant (« La vie
folle »). Son jeu de batterie, d’une grande finesse, apporte autant de
rythme que de poésie.
Les compositions, de la plume de Valentin Ceccaldi à
l’exception de trois titres écrits par Quentin Biardeau (« Dodouce »)
et Gabriel Lemaire (« Les yeux de Natalia » et « Valse »), sont des
pièces relativement courtes toujours basées sur une idée, une façon de disposer
les éléments musicaux. Les fonctions mélodiques, rythmiques et harmoniques sont
interchangeables, les solistes ne sont pas toujours ceux qu’on croit. Parfois
la musique s’effrite puis se reconstruit délicatement (« Dodouce »),
parfois le schéma est plus statique et un simple thème, porté par une rythmique
minimale, se suffit à lui-même (« Tourner tout droit »). Sur
« Le goût de l’odeur », la matière sonore est tour à tour finement
sculptée ou brouillée, comme si la musique était émergée puis immergée, donnant
d’elle-même dans un seul élan une image nette et distordue par les mouvements
de surface. A l’opposé, le groupe développe sur « Troubles 2 » un son
d’ensemble qui se densifie au fil du morceau, l’étroite entente du violoncelle
et de la batterie jouée aux mailloches délivrant une intensité très terrestre
qui donne une assise puissante au jeu mêlé des deux soufflants. L’utilisation
de l’archet par Valentin Ceccaldi donne au quartet une apparence chambriste
(« Sage comme un mirage »), mais la fragilité, en bonne fausse piste,
s’estompe derrière l’assurance d’un groupe qui jongle majestueusement avec les
énergies.
L’enregistrement de cet album a été placé sous de
bons augures. Sébastien Boisseau, qui sait à merveille donner du sens à la
musique, est le conseiller artistique du groupe, et a assisté à la session, qui
s’est déroulé dans le studio La Buissonne. Le groupe a su, de toute évidence,
tirer parti de cette double bienveillance (entre les conseils d’un grand
musicien et le savoir-faire d’un grand studio). La musique respire, et l’on
parcourt les 11 compositions avec le doux sentiment, qui ne se dément pas,
d’écouter une œuvre unique et originale, façonnée par des artistes-conteurs qui
interpellent autant par l’abnégation dont ils savent faire preuve que par le
raffinement de leurs propositions. Si les mots du chroniqueur seront toujours
plus clairs pour ceux qui connaissent déjà la musique dont il est question,
quelques extraits me semblent plus parlants pour les autres. Ca tombe bien,
trois titres sont en écoute sur le site du Tricollectif. Je vous invite
d’ailleurs vous y promener un peu, il est parsemé de petites pépites… sur
lesquelles je reviendrai prochainement.
En attendant, je ne peux que vous conseiller de vous procurer
ce beau disque, qui fourmille d’idées excitantes et d’instants précieux.
2 commentaires:
Où trouver ce disque ?
Ici!
http://www.tricollectif.fr/walabix/
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